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Bonne lecture
L’Enquête dont vous êtes la victime — Fiction audio
Épisode 1 — Docteur André Moreau, la victime
Épisode 2 — Marguerite et Henri, les enfants
Épisode 3 — François Thouvenin, l’assistant
Épisode 4 — Simone Moreau, l’ex-femme
Épisode 5 — Paulette Moreille, la gouvernante
PERSONNAGE : BOURCHARD/ JEANNE et brièvement LA GOUVERNANTE
On entend une porte qui s’ouvre avec un bruit de clef.
HENRI — Bonjour Père, c’est moi. Père ? Père ? (Paniquée) Père, père, réveillez-vous.
Des bruits de pas. Un bruit d’ambulance. Un bruit de brancard. Puis un silence.
On entend quelqu’un faire les cent pas
INSPECTEUR BOUCHARD — Et vous dites qu’il nous entend ?
JEANNE — Oui, inspecteur, c’est ce que dit le rapport du légiste.
INSPECTEUR BOUCHARD — Et bien faut peut-être se présenter ?
JEANNE — Pardon ?
BOUCHARD — Vous me dites que le docteur Moreau, qui est étendu comme mort devant nous, nous entend, faut peut-être lui parler, lui expliquer ce qui se passe ?
JEANNE — Il ne vous répondra pas, mais vous pouvez y aller.
BOUCHARD — Docteur Moreau, euh.. bonjour. Bon déjà, j’espère que vous m’entendez bien. Je suis l’Inspecteur Bouchard. J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer… Comment vous dire ?.Bon voilà je me lance… vous êtes actuellement dans un coma profond car on vous a empoisonné avec de la patatoxine.
JEANNE (le reprenant) — Non inspecteur, avec de la paracytoneurotoxine.
BOUCHARD — Oui bon. C’est pareil. Je suis chargé de trouver qui vous a fait ça. Et je ne vais pas vous cacher que je joue gros sur cette enquête. Commissaire Le Breton m’a prévenu, il m’a dit « Bouchard, c’est votre dernière chance de garder votre place au 36 ! Si vous ne parvenez pas à découvrir qui a empoisonné le docteur Moreau, avant que toute la presse s’en mêle, je vous fais muter aux douanes ! ». Le mieux, Docteur Moreau, se serait que vous vous réveillez et que vous nous disiez vous-même qui vous a fait ça. On gagnerait du temps et mon emploi.
JEANNE — Mais Inspecteur Bouchard…
BOUCHARD — Oui Mademoiselle Dubois ?
JEANNE — Meme s’il se reveille il ne saura rien. Le rapport du légiste est très clair : son cerveau est si attaqué que le Docteur Moreau doit probablement être totalement amnésique.
BOUCHARD — Vous voulez dire qu’il ne sait pas quel jour on est ?
JEANNE — Pire que ça inspecteur, il ne doit même plus se rappeler qui il est.
BOUCHARD — Ah. Très bien. Bon. J’aurais peut-être du commencer par vous présenter avant de me présenter Docteur Moreau ! Je vous prie de m’excuser. Bon, en tout cas, sachez qu’on est le 12 juillet 1930.
JEANNE — Non, Inspecteur, nous sommes le 13.
BOUCHARD — Ah oui c’est vrai.
LA GOUVERNANTE — Inspecteur, je vous ai fait du café.
BOUCHARD — Ah Madame Moreille, je vous présente Jeanne Dubois, la secrétaire du Commissaire le Breton, elle vient d’arriver.
LA GOUVERNANTE — Bonjour Mademoiselle, souhaitez-vous également un café ou un thè
JEANNE — Bonjour Madame, non merci ça ira.
LA GOUVERNANTE — Si vous avez besoin de moi, je suis â côté.
BOUCHARD — Nous n’y manquerons pas ! Elle est charmante votre gouvernante Docteur Moreau.
JEANNE — Il y a quelque chose que je ne comprends pas Inspecteur.
BOUCHARD — Dites-moi.
JEANNE — Le Commissaire le Breton m’a demandé de vous apporter le rapport du légiste.
BOUCHARD — Et vous avez superbement réussi votre mission.
JEANNE — Mais il m’a également dit de rester près de vous le temps de l’enquête. Mais pourquoi faire au juste ?
BOUCHARD — Ça, je ne sais pas très bien. Le Breton m’a dit que vous portez chance.
JEANNE — Que je porte chance ?
BOUCHARD — Oui, il parait que vous avez porté chance au commissaire dans la plupart de ses enquêtes.
JEANNE — Ah… Je vois.
BOUCHARD — J’ai trouvé ça bizarre, pour moi une secrétaire ça ne porte pas chance, ça dactylographie.
JEANNE — Vous allez voir que les secrétaires sont plus essentielles que vous ne pensez.
BOUCHARD — Ne le prenez pas mal, je suis féru de machine à écrire, je trouve ça fascinant. J’ai vu que toutes les secrétaires du commissariat ont reçu des Underwoods portatives. Vous savez que vous êtes les seuls en France à en avoir !
JEANNE — Pourquoi le docteur Moreau n’est-t-il pas à l’hôpital ?
BOUCHARD — Mais pour pas que tout Paris soit au courant malheureuse ! On ne parle pas de n’importe qui ! Le docteur André Moreau est un proche du gouvernement, si ça se sait, l’affaire pourrait devenir hautement politique ! Alors pour que ça fasse le moins de bruit possible, on a fait venir des médecins ici, dans son appartement. (après un temps) Mais ne paniquez pas Docteur Moreau, si la situation se dégrade, une ambulance se tient prête en bas pour amener à l’hôpital.
JEANNE — Je vois. Racontez moi ce que vous savez d’autres.
BOUCHARD — Pas grand-chose : le Docteur Moreau a été retrouvé en milieu d’après-midi, ici, dans son appartement, complétement inconscient, une tasse de thé à la main. En analysant sa salive, les médecins ont trouvé les fameuses traces de paranonine.
JEANNE — paracytoneurotoxine
BOUCHARD — Voila A part ça, nous avons peu d’information. Madame Moreille qui habite au rez-de-chaussée indique qu’elle a entendu quelqu’un entrer et sortir de l’immeuble en courant vers 14h, heure qui correspond d’après les médecins à la prise de la substance.
JEANNE — Et il y a des suspects ?
BOUCHARD — Oui. Attendez, que je retrouve ce qu’on m’a dit : (lisant) Marguerite et Henri, ses deux enfants qui doivent être intéressées pour récupérer l’héritage, François Thouvenin son assistant qui rêve surement de porter ses recherches à sa place, et Simone Moreau, son ex-femme avec qui il est en train de divorcer.
JEANNE — Et Madame Moreille, la gouvernante, je suppose.
BOUCHARD — Pourquoi la gouvernante ?
JEANNE — C’est probablement elle qui a servi le thé.
BOUCHARD — Ah bah oui, j’ai failli oublier. Il a raison le Commissaire Le Breton, vous portez chance !
On entend un téléphone qui sonne.
BOUCHARD — (au téléphone) Allo ? Très bien, on sort. Mademoiselle Dubois, on vient de m’indiquer que les enfants du docteur Moreau ne vont pas tarder à arriver. Il faudrait libérer la chambre.
JEANNE — Allez-y, je vous rejoins.
BOUCHARD — Comment cela ?
JEANNE — J’ai besoin de rester un peu avec la victime… pour vous porter chance.
BOUCHARD — Dans ce cas faite Mademoiselle Dubois ! (on entend la porte qui s’ouvre et des bruits de pas qui s’éloigne).
JEANNE (après un temps) — Monsieur Moreau, écoutez-moi attentivement. J’imagine que c’est très étrange ce qui se passe actuellement dans votre tête. Etre bloqué dans un corps inconnu en se sachant victime d’un tel acte. Soyez assuré que je ferais tout mon possible pour savoir qui vous a fait ça. (un temps) Cependant, je pense que vous allez découvrir avant moi la clef de ce mystère. J’ai l’intuition qu’à votre chevet, vu votre état, les langues vont se délier, et vous allez en apprendre beaucoup sur vos relations. Écoutez bien tout ce qu’on va vous dire, chaque phrase sera un indice qui va vous permettre de comprendre les raisons et les circonstances de votre empoisonnement.
PERSONNAGE : HENRI/ MARGUERITE puis BOUCHARD/JEANNE
On entend la porte qui s’ouvre. Chaque enfant a sa voix d’un côté.
HENRI (en pleurs) — C’est terrible de voir notre père comme ça.
MARGUERITE (froide) — Oui... enfin ça fait surtout bizarre de le voir sans qu’il nous fasse des reproches.
HENRI — Notre père est sur le point de mourir et c’est tout ce que ça te fait ?
MARGUERITE — Il y a 15 jours, il nous a annoncé qu’il ne lui restait plus que trois mois à vivre à cause de son cancer. Je ne vois pas trop ce que ça change. On va enfin savoir s’il a pensé à nous pour l’héritage
HENRI — Mais t’es un monstre, Marguerite !
MARGUERITE — Arrête un peu Henri ! Le monstre dans cette pièce, il est sur ce lit.
HENRI — Mais c’est notre père tout de même !
MARGUERITE — Tu appelles ça un père toi ? Un homme qui annonce à ses enfants qu’il pense à les rayer de son héritage ? Et puis qu’est-ce qui t’arrive ? L’autre jour, tu ne semblais pas bouleverser plus que ça !
HENRI — Oui, mais là, le voir dans cet état c’est différent.
MARGUERITE — Ce n’est pas parce qu’il est ainsi que ça change. On parle de l’homme le plus mauvais que je connaisse. Tous les gens autour de lui finissent par le détester. Je ne sais même pas comment notre mère a réussi à rester aussi longtemps avec lui.
HENRI — Mais arrête voyons !
MARGUERITE — Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
HENRI — Tu sais, je crois qu’on s’est rapproché depuis ces dernières semaines. Il était dur oui, mais en travaillant à ses côtés, j’ai pu voir que l’on comptait plus pour lui que ce qu’on pensait.
MARGUERITE — Mais quand est-ce que tu accepteras qu’il ne nous a jamais aimés ? Tu as tout fait pour qu’il t’accepte, tu es devenu un grand scientifique comme lui, tu l’as aidé de nombreuses fois sur des projets, est-ce qu’il t’a déjà félicité ? Est-ce qu’il t’a remercié pour ton soutien de ces dernières semaines ? Tu as construit ta vie autour de lui et voilà le résultat.
HENRI — C’est sûr que toi, tu as tout fait pour ne pas lui ressembler.
MARGUERITE — Ça n’a aucun rapport. J’ai construit ma vie autour de ma passion, notre père n’a rien à voir avec ça.
HENRI — Se lever à 5h du mat’ tous les jours, même les week-ends et jours fériés, pour répéter pendant 10 heures des pièces baroques avec un vieux sénile, tu parles d’une passion.
MARGUERITE — Je t’interdis de parler de Monsieur Leroux ainsi.
(après un temps)
HENRI — Tu as prévenu quelqu’un ?
MARGUERITE — Bah non, les policiers nous ont fortement recommandés de ne pas le faire.
HENRI — On devrait au moins le dire à Maman et à François.
MARGUERITE — C’est prendre le risque que l’un deux en parlent à la presse, on a vraiment pas besoin de ça.
HENRI — Pourquoi ils feraient ça ?
MARGUERITE — Maman rêve depuis des années de dévoiler au grand jour l’homme qui était notre père et François … bah lui il a tout intérêt à dire au plus vite à la presse que c’est lui le vrai cerveau derrière ses recherches
HENRI — Peu importe, je pense qu’on doit leur dire la situation.
MARGUERITE — Qu’est ce que ca changerait ?
HENRI — Je ne sais pas.. il faut qu’ils puissent lui parler une dernière fois avant sa mort.
MARGUERITE — Tu parles des deux personnes que notre père a fait le plus souffrir Henri. Je vois pas trop ce qu’ils voudront lui dire.
HENRI — Des reproches, des regrets, je ne sais pas moi…
MARGUERITE — Comme tu veux, ça m’est égal. Il est déjà mort pour moi.
HENRI — Marguerite, pars pas.
(des bruits de pas… puis la porte).
BOUCHARD — Vous avez entendu ça Mademoiselle Dubois, elle n’a pas l’air d’aimer beaucoup son père cette Marguerite ? C’est suspect vous ne trouvez pas ?
JEANNE — Oui…oui… Je me demande ce qui motive Henri à vouloir que sa mère et l’assistant voient une dernière fois son père ?
BOUCHARD — Ah oui, mais ça c’est impossible, je dois le rattraper pour lui dire de ne pas le faire. Le Breton m’a bien dit que seuls la gouvernante et les enfants pouvaient être au courant de la situation.
JEANNE — Laissez le justement… Ecouter ces gens passer par ici va surement nous aider.
BOUCHARD — Comment ça nous aider ?
JEANNE — Vous verrez… je sens que… ça va vous porter chance
BOUCHARD (baillant) — Oui et bien on verra demain. Il est tard, nous reprendrons cette enquête au petit matin Mademoiselle Dubois.
JEANNE — Comme vous voudrez.
BOUCHARD —- Bonne nuit docteur ! A demain !
PERSONNAGE : BOURCHARD/ JEANNE et brièvement LA GOUVERNANTE puis FRANCOIS/GOUVERNANTE/JEANNE
BOUCHARD — Une chose qu’on ne vous a pas dite Monsieur Moreau, c’est que votre appartement est magnifique ! Quelle vue nous avons depuis votre chambre ! Avec cette lumière matinale, c’est fabuleux !
JEANNE — A cet étage, on peut être sûr que votre meurtrier est passé par la porte.
BOUCHARD — Vraiment un très bel espace ! Bon. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
JEANNE — On réfléchit …inspecteur.
BOUCHARD — Faut que je vous prévienne Docteur Moreau, je ne suis pas un enquêteur du genre Sherlock Homes. Je ne déduis pas des milliards de choses d’un rien. Tenez si je prends ce document…bah déjà je n’arrive pas à le lire. C’est laid l’écriture manuscrite. Mademoiselle Dubois, vous lisez quoi là ?
JEANNE — « Confirmation de prise de livraison, coursier Louis Marcus, jeudi 13 février 1930 ».
BOUCHARD — Ah vraiment, vous, les secrétaires, vous avez le don pour lire les écritures de pattes de mouches. Ah mais vous voyez, au dos, c’est écrit à la machine, c’est beaucoup plus clair « Laugier, père et fils. Service de coursier parisien ».
JEANNE — Inspecteur, j’ai une idée pour que votre enquête avance.
BOUCHARD — Dites-moi.
JEANNE — Vous allez vous cacher, disons… là, derrière ce rideau et restez attentif. Cette chambre donnant sur l’entrée, vous pourrez écouter tout ce qui se passe, notamment les gens qui entrent dans l’appartement. Et dans quelques heures, vous me raconterez tout ce qui vous avez entendu.
BOUCHARD — Et vous prendrez des notes avec votre nouvelle machine à écrire ?
JEANNE — Oui. C’est ça.
BOUCHARD — Formidable. Mais s’il ne se passe rien ?
(on entend sonner)
JEANNE — Vous voyez inspecteur, il se passe déjà quelque chose ! Allez, planquez-vous !
LA GOUVERNANTE — Qui cela peut-il bien être ?
On entend la porte s’ouvrir.
LA GOUVERNANTE — Ah c’est vous François, je vous en prie, entrez.
FRANÇOIS — Bonjour, Madame Moreille, je voulais passer me recueillir auprès du docteur Moreau.
LA GOUVERNANTE — Bien sûr. Tenez, voici l’inspecteur qui s’occupe de l’enquête et sa secré…
JEANNE — Malheureusement, l’inspecteur Bouchard a dû partir sur une autre affaire. Bonjour, Monsieur, vous êtes bien François Thouvenin, l’assistant du docteur Moreau ?
FRANÇOIS (troublé) — C’est bien ça. Bonjour. Mais que fait la police ici ? Je ne pensais pas qu’une enquête était menée.
JEANNE — Oh, une enquête est un bien grand mot, non c’est plus une simple formalité. La preuve, l’inspecteur n’a pas semblé utile de rester.
FRANÇOIS — D’accord….
JEANNE — Je peux vous poser quelques questions, ce sera très bref. C’est pour le rapport, vous savez, dans la préfecture on est noyé sous les procédures administratives.
FRANÇOIS (hésitant) — Euh… oui, bien sûr.
JEANNE — Depuis combien de temps travaillez-vous avec le docteur Moreau ?
FRANÇOIS — 5 ou 6 ans quelque chose comme ça.
JEANNE — Et quel est votre rôle exactement ?
FRANÇOIS — Disons que je l’assiste sur tous ces projets de recherches.
JEANNE — Et quels sont vos sujets d’étude ?
FRANÇOIS — Nous travaillons sur les molécules de synthèse pour trouver les médicaments de demain.
JEANNE — Je vois, je vois. J’ai cru comprendre que vous aviez travaillé récemment sur la paracyto-neurotoxine.
FRANÇOIS (surpris) — Comment êtes-vous au courant ?
JEANNE — Un simple hasard. Qu’est-ce que c’est exactement ?
FRANÇOIS — C’est le venin du taïpan d’eau, une espèce très rare de serpent.
JEANNE — Et quels sont ses effets ?
FRANÇOIS (hésitant) — C’est assez technique…
JEANNE — Essayez tout de même de m’expliquer.
FRANÇOIS — Disons qu’une morsure vous paralyse pendant 24h, mais vous êtes parfaitement conscient.
JEANNE — Est-ce létale ?
FRANÇOIS — Une seule morsure, non. Bien que vous avez l’aspect d’un mort. Après la paralysie, on se réveille plus ou moins normalement.
JEANNE — Et deux morsures ?
FRANÇOIS — Deux morsures attaquent votre cerveau et vous plongent dans un état de coma semi-conscient qui dure plus longtemps, autour de 36 heures. Sauf que vous ne vous réveillez pas, c’est la mort assurée.
JEANNE — Et... trois morsures ?
FRANÇOIS — Vous mourrez sur le champ.
JEANNE — Quelle est la dose de venin dans une morsure ?
FRANÇOIS — Très peu, 0,5 millilitre, une seule dose laisse vraiment très peu de trace. Mais dîtes-moi, quel est le rapport avec le docteur Moreau… vous voulez dire que… ?
JEANNE — Non rien à voir. Le docteur Moreau est simplement tombé dans le coma… suite à …une méningite… Enfin, les médecins sont en train d’analyser tout cela.
FRANÇOIS (peu convaincu)— Ah...
JEANNE — Une autre question : le docteur Moreau a comme réputation d’être un homme très dur, ce n’est pas trop compliqué de travailler avec lui ?
FRANÇOIS (hésitant) — Euh… non… cela a toujours été un homme charmant avec moi… C’était très intéressant et très gratifiant d’être à ses côtés.
JEANNE — Dans son ombre, vous voulez dire.
FRANÇOIS (faché) — Je ne vois pas ce que vous insinuez. Bon, je dois y aller.
JEANNE — Je pars aussi, laissez-moi prendre mon sac et je vous accompagne. (à la cantonade) Au revoir Madame Moreille.
LA GOUVERNANTE — Au revoir Mademoiselle, au revoir François.
(la porte de l’entrée se ferme, des bruits d’escalier, un temps, puis on entend quelqu’un remonter, et sonner)
LA GOUVERNANTE — J’arrive, j’arrive. (la porte de l’entrée s’ouvre) C’est encore vous François ?
FRANÇOIS — Oui, je n’ai pas pris le temps de me recueillir avec les questions de cette femme.
LA GOUVERNANTE — Eh bien allez-y. Je vous laisse tranquille. (elle ferme la porte de la pièce)
(un temps, puis on entend François fouillez le bureau)
FRANÇOIS — Ce n’est pas possible, il avait laissé les documents signés, ici. Il a changé d’avis le diable. Quel traitre ! Qu’il crève !
(La porte s’ouvre, on entend un truc qui tombe)
LA GOUVERNANTE — Vous voulez un thé François ?
FRANÇOIS (paniqué) — Hein, quoi ? Euh. Non, merci Madame Moreille. Je dois y aller. Au revoir.
PERSONNAGE : LA GOUVERNANTE/SIMONE
On entend la porte de l’entrée s’ouvrir
LA GOUVERNANTE — Décidément, c’est un moulin ici. Qui est-ce ?
SIMONE MOREAU — Bonjour, Paulette, c’est moi.
LA GOUVERNANTE — Ah Madame Moreau, quelle bonne surprise ! Ça fait longtemps que je ne vous ai pas vu.
SIMONE MOREAU — Comment allez-vous ?
LA GOUVERNANTE — Un peu triste par cette histoire évidemment.
SIMONE MOREAU — Où est-il ?
LA GOUVERNANTE — Ils l’ont installé juste là, dans votre chambre.
SIMONE MOREAU — Voyons Paulette, cela fait 5 ans que je n’habite plus là, je crois qu’on peut dire que ce n’est plus ma chambre.
LA GOUVERNANTE — Vous avez raison. (on entend Simone Moreau boiter). Ça ne s’est pas arrangé votre problème de jambe.
SIMONE MOREAU — C’est de pis en pis vous voulez dire ! Je me déplace comme une grand-mère.
LA GOUVERNANTE — Je vous laisse avec votre ex-mari. Avez-vous besoin de quelque chose ?
SIMONE MOREAU — Je ne dis pas non à un thé.
LA GOUVERNANTE — Je vous l’apporte de suite.
SIMONE MOREAU — Paulette ?
LA GOUVERNANTE — Oui Madame Moreau.
SIMONE MOREAU — Est-ce qu’André buvait toujours son thé si précieux ?
LA GOUVERNANTE — Celui de son producteur de Cochinchine ?
SIMONE MOREAU — Oui.
LA GOUVERNANTE — Bien sûr. Comme toujours, il en buvait un par jour, pour son cœur disait-il.
SIMONE MOREAU — Et il interdisait toujours à quiconque d’en boire ?
LA GOUVERNANTE — Oui. Vous vous souvenez, il disait qu’elle était le seul à vraiment pouvoir l’apprécier.
SIMONE MOREAU — Vous savez qu’en 20 ans de vie commune, il n’a jamais voulu que je le goute. Même avec moi il était radin.
LA GOUVERNANTE — Oh, disons qu’il avait ses habitudes.
SIMONE MOREAU — Servez-moi de son thé si spécial, je vous prie.
LA GOUVERNANTE — Bien sûr Madame Moreau !
(on entend la porte se fermer)
SIMONE MOREAU (avec une voix plus sérieuse) — T’es dans un sacré état mon vieux. C’est fou de te voir comme ça. Ca me fait du bien je crois. Il parait que tu n’es pas vraiment mort. Que c’est qu’une question d’heures. Au fond de moi, je crois que je voudrais que tu le sois déjà.
Mon avocat a reçu la lettre du tien il y a deux jours figure toi. Notre divorce aussi n’est plus qu’une question d’heures. C’est drôle non ? Si tu meurs maintenant, on est encore marié juridiquement, et je gagne la moitié de ta fortune. Si tu attends encore quelque temps, le divorce est prononcé et je n’ai plus rien.
Je me dis que je suis trop lâche, que je devrais écraser mes mains sur ton cou maintenant et en finir. C’est tout ce que tu mérites, toi qui n’a jamais été capable de la moindre gentillesse. Ah si, il parait que tu avais trouvé un accord avec ton assistant. Il m’a écrit il y a trois jours pour me le dire. Je suis sûr que tu as réussi à lui faire un mauvais coup à ce pauvre vieux.
(on entend la porte s’ouvrir)
LA GOUVERNANTE — Voilà, Madame Moreau, votre thé.
SIMONE MOREAU — Goutons voir… (bruit de tasse). C’est infect ! Ca ne m’étonne pas qu’un homme pareil supporte tant d’amertume.
LA GOUVERNANTE — Roh Madame Moreau.
SIMONE MOREAU — Dites-moi Paulette, vous faites quoi dimanche prochain ?
LA GOUVERNANTE — Oh, pas grand-chose.
SIMONE MOREAU — Ça vous dirait d’aller voir Marguerite au théâtre ?
LA GOUVERNANTE — Oh, je ne sais pas trop si j’ai la tête à ça.
SIMONE MOREAU — Mais si, mais si. Il parait que ça va être formidable. J’ai croisé son professeur en arrivant ici, Monsieur Leroux. Il m’a dit que Marguerite était la meilleure élève qu’il n’a jamais eu, la plus assidu. Et vous savez, ce n’est pas quelqu’un de commode Monsieur Leroux, tout Paris est d’accord pour le dire.
LA GOUVERNANTE — De quoi parle la pièce ?
SIMONE MOREAU — C’est l’histoire d’un fille qui tue son père.
PERSONNAGE : BOURCHARD/ JEANNE puis LA GOUVERNANTE/BOUCHARD/JEANNE puis JEANNE/BOUCHARD
BOUCHARD — Et là, elle a dit à la gouvernante « C’est l’histoire d’une fille qui tue son père ! ». Ah, je sens que mon enquête avance ! Je ne sais pas dans quelle sens mais elle avance.
JEANNE — Oui… J’ai l’impression que tout le monde autour du docteur Moreau veut sa mort. D’ailleurs j’y pense. Quelle heure avez-vous inspecteur ?
BOUCHARD — Un peu plus de 17h.
JEANNE — On peut donc estimer que ça fait largement plus de 24h que le docteur Moreau est dans le coma.
BOUCHARD — Oui.. et bien, où voulez-vous en venir ?
JEANNE — Et bien qu’il ne se relèvera pas.
BOUCHARD — Attendez, parce que c’était encore possible ?
JEANNE — Je ne dirais pas que c’était possible… mais on aurait pu l’imaginer. J’avais deux hypothèses dans cette affaire, et les deux menaient à cette situation.
BOUCHARD — Ah oui… Et du coup, vos deux hypothèses ne fonctionnent plus. Ne vous inquiétez pas Mademoiselle, ça arrive au plus grand. Moi par exemple, sur mes enquêtes, toutes mes hypothèses tombent en général à l’eau.
JEANNE — Non… non… au contraire, mes deux hypothèses sont encore possibles. Mais pour les vérifier j’ai besoin de m’assurer d’une dernière chose. Dites-moi, que s’est-il passé depuis la visite de son ex-femme ?
BOUCHARD — Euh... Pas grand-chose. La gouvernante est partie, puis un moment j’ai entendu du bruit à la porte, ça m’a fait sursauter.
JEANNE — Sursauter ?
BOUCHARD — Pour tout vous avouez... je me suis un peu assoupi. Mais je n’ai rien raté, je vous le promets ! Tenez la preuve, je vous ai entendu arriver ! Comment avez-vous ouvert la porte d’ailleurs ?
JEANNE — J’ai croisé Marguerite au commissariat, la fille du docteur Moreau, elle m’a donné sa clef.
BOUCHARD — Que faisait-elle au commissariat ?
JEANNE — Elle voulait vous prévenir qu’elle avait reçu un pli de François Thouvenin, indiquant que le docteur Moreau l’avait trahi et qu’il fuyait le pays.
BOUCHARD — J’espère que votre chance est précise Mademoiselle Dubois, car tout le monde parait de plus en plus suspect dans cette affaire.
On entend la porte s’ouvrir à clef.
LA GOUVERNANTE (paniquée) — Qui est là ?
BOUCHARD — C’est nous Madame Moreille.
LA GOUVERNANTE (paniqué) — Inspecteur, vous tombez bien. La personne que j’ai entendue au moment du malaise du docteur Moreau, elle est revenue !
BOUCHARD — Qu’est-ce que vous racontez ?
LA GOUVERNANTE — Comme je l’ai dit à vos collègues, hier, à peu près au même moment où le docteur Moreau est tombé dans le coma, j’ai entendu quelqu’un entrer et deux minutes après ressortir de l’immeuble en courant, cette personne est revenue, j’en suis sûr, j’ai entendu les mêmes bruits de pas, la même foulée.
BOUCHARD — Mademoiselle Dubois, l’assassin est repassé ! Qu’avez-vous fait Madame Moreille ?
LA GOUVERNANTE — J’ai eu peur, donc je suis resté dans ma loge le temps qu’il sorte de l’immeuble, puis je suis remonté. Et j’ai trouvé ça.
BOUCHARD — Une enveloppe !
LA GOUVERNANTE — C’était sur le seuil de l’appartement.
JEANNE — Est-ce vous qui l’avez ouverte Madame Moreille ?
LA GOUVERNANTE — Oui. C’était écrit dessus.
BOUCHARD (lisant) — C’est vrai, il y a écrit « Madame Moreille, ouvrez cette enveloppe ». Belle écriture d’ailleurs. Et il y avait quelque chose à l’intérieur ?
LA GOUVERNANTE — Oui, vous pouvez vérifier, j’ai laissé la feuille.
BOUCHARD (lisant) — « Paulette Moreille, je sais ce que vous avez fait ! ».
JEANNE — Vous savez à quoi le mystérieux messager fait référence Madame Moreille ?
LA GOUVERNANTE — J’y ai réfléchi, mais je ne comprends pas trop.
JEANNE — On peut reparler de votre journée d’hier ?
LA GOUVERNANTE — Oui aucun problème. Voyons, voyons… je me suis levée, puis je suis montée chez le docteur Moreau vers 8h. Il était dans son salon. Je suis allé dans la cuisine lui préparer son petit-déjeuner et je lui ai servi. Puis je suis retourné dans la cuisine lui préparer son « thé de la journée » comme il disait.
BOUCHARD — « Son thé de la journée » ?
LA GOUVERNANTE — Oui, le docteur Moreau buvait une fois par jour un thé très spécial qu’il était, selon lui, le seul à pouvoir vraiment apprécier.
JEANNE —- Et il le buvait à une heure précise ?
LA GOUVERNANTE — En générale après le déjeuner, le sachet devait être prêt dès le matin pour pouvoir le boire à tout moment. S’il avait des réunions à l’extérieur par exemple, il le buvait avant de partir pour être sûr d’avoir son « thé de la journée ».
JEANNE — Et quand vous dites que vous le prépariez, de quoi parlez-vous ?
LA GOUVERNANTE — Je dépose simplement une cuillère de thé dans un petit sachet que je laisse à disposition près d’une tasse au milieu de la cuisine. Il peut ainsi faire chauffer l’eau et boire son thé sans attendre que je lui serve.
JEANNE — Continuez, je vous prie.
LA GOUVERNANTE — Après ça j’ai nettoyé sa chambre, puis sa salle de bain.
JEANNE — Vous n’avez rien noté d’anormal pendant tout ce temps ?
LA GOUVERNANTE — J’ai cru entendre un bruit dans la cuisine à un moment, mais quand j’y suis allée, je n’ai rien vu.
JEANNE — Que faisait le docteur Moreau à ce moment-là ?
LA GOUVERNANTE — Il travaillait dans son bureau. Je l’ai meme entendu dire…Enfin n’allez pas croire que j’écoute aux portes.
BOUCHARD — Personne ne pense cela voyons Madame Moreille…
JEANNE — Dites-nous tout.
LA GOUVERNANTE — Il a dit quelque chose du genre « ces documents, il pourra les récupérer seulement s’il se montre loyal… ».
JEANNE — Intéressant.
BOUCHARD — Et ensuite, qu’avez-vous fait Madame Moreille.
LA GOUVERNANTE — J’ai servi au docteur Moreau son déjeuner puis il a insisté pour que je rentre chez moi, c’était étrange d’ailleurs. Normalement, je reste au moins jusqu’à 18h le soir. Je suis donc descendu dans ma loge, et au bout d’une demi-heure, j’ai entendu la porte de l’immeuble s’ouvrir, avec les pas pressés de quelqu’un. Puis presque aussi rapidement la personne est repartie.
JEANNE — Vous n’avez entendu personne d’autre de tout l’après-midi ?
LA GOUVERNANTE — À part Henri en fin d’après-midi quand il a retrouvé son père inconscient, non.
JEANNE — Est-il possible que quelqu’un entre sans que vous l’entendiez ?
LA GOUVERNANTE — Vu le bruit que fait la porte de l’immeuble, non c’est impossible.
JEANNE — Merci Madame Moreille
BOUCHARD — (se reveillant) Bien. Vous pouvez rentrer chez vous, Madame Moreille. Merci pour tout.
(on l’entend partir, et la porte d’entrée se fermer).
BOUCHARD — Mademoiselle Dubois, venez voir !
JEANNE — Oui ?
BOUCHARD — Regardez moi ça. La lettre écrite à Madame Moreille, vous ne remarquez rien ?
JEANNE — Je vous écoute.
BOUCHARD — « Paulette Moreille, je sais ce que vous avez fait ! ». Cela a été écrit avec une Underwood Portative, je reconnais la calligraphie !
JEANNE — Bien vu.
BOUCHARD — Vous êtes impressionné par mon talent, avouez !
JEANNE — Oui.. Oui… et donc ?
BOUCHARD — Comment ça « et donc » ?
JEANNE — Et bien qu’est ce que vous faites de cette information ?
BOUCHARD — (un temps) Ah vraiment, vous les secrétaires, vous avez le don pour poser les questions qui fâchent !
JEANNE — Ne vous vexez pas inspecteur. Pour me faire pardonnez, j’ai une bonne nouvelle pour vous.
BOUCHARD — Je vous écoute.
JEANNE — Nous arrivons au bout de cette enquête !
BOUCHARD — Pardon ? Votre chance va enfin m’aider ?
On entend des bruits de draps
JEANNE (paniquée) – Inspecteur, le docteur Moreau, il semble s’agiter... Courrez appeler l’ambulance.
BOUCHARD — Oh misère ! Je fonce !
JEANNE — (en sussurant) Tenez bon Monsieur Moreau. Les secours vont venir vous chercher. La prochaine fois qu’on se parlera, je vous dirais qui vous a fait ça. Mais peut-être le savez-vous déjà... non ? Si le cœur vous en dit prenez le temps du trajet vers l’Hôpital pour vous repasser tout ce que vous avez entendu, peut-être que vous le découvrirez par vous-même.
BOUCHARD — Infirmiers , transportez ce corps à la voiture !
PERSONNAGE : BOURCHARD/ JEANNE
BOUCHARD — C’est terrible. Toute la presse est aux portes de l’Hôpital ! Si je ne trouve pas le coupable rapidement, je suis foutu !
JEANNE — Détendez-vous Inspecteur. Tout va bien se passer.
BOUCHARD — Me détendre ? Malheureuse, comment me détendre quand mon avenir est en jeu ?
JEANNE — J’ai une idée pour ça : regardez sur la table !
BOUCHARD — (joyeux) Une Underwoods portative !
JEANNE — Vous pouvez même l’essayer.
BOUCHARD — Vraiment ?
JEANNE — Oui. Car vous allez dactylographier ce que je vais dire.
BOUCHARD — Dactylographier ? Mais je ne suis pas une secrétaire...
JEANNE — Voyons inspecteur, laissez la chance faire son travail. Ca serait bête que les journalistes arrivent sans que l’affaire soit résolue.
BOUCHARD — Ah vraiment, vous les secrétaires, vous avez le don pour être convaincante.
JEANNE — Bien Docteur Moreau, à nous deux. J’espère que cela ne vous a pas gêné toute cette agitation autour de vous pour vos dernières heures. Si c’est le cas, je vous présente mes excuses, mais j’en avais besoin, j’étais sûr que ça allait m’apprendre plein de choses… enfin NOUS apprendre plein de choses.
La première conclusion qu’on peut en tirer c’est que vous êtes un homme sacrément désagréable. A tel point, que presque tout votre entourage est suspect.
BOUCHARD — Ah ça je vous le confirme, j’ai jamais vu une enquête avec autant de suspect.
JEANNE — Inspecteur ?
BOUCHARD — Ah oui pardon… je vous laisse dérouler vos explications.
JEANNE — Peut-être la seule qui semble ne pas vous en vouloir c’est votre gouvernante. Pour tout vous dire, j’ai voulu savoir si je pouvais lui faire confiance, car c’est elle qui nous a fourni le plus d’informations sur la journée d’hier. Pour ça j’ai écrit, grâce à cette machine, d’ailleurs, la menace anonyme qu’elle a reçu
BOUCHARD — Ah mais oui, bien sûr ! En plus, j’avais reconnu que ça avait été écrit par une Underwood portative !
JEANNE — Elle ne nous a pas caché ce papier, j’en ai déduit que je pouvais lui faire confiance ;
BOUCHARD — Personnellement, j’ai toujours fait confiance à Madame Moreille ! De toute façon, elle n’avait pas de raison de vouloir la mort de son patron.
JEANNE — Le jour de l’empoisonnement, elle est bien arrivée chez vous, Docteur Moreau à 8 heures. Elle a préparé votre sachet de thé que vous êtes le seul autorisé à boire, elle a nettoyé votre chambre et votre salle de bain, elle a entendu du bruit dans la cuisine (un temps) puis vous a servi à déjeuner, et est rentrée chez elle.
Un peu après, à 14h, elle a entendu une personne rentrer et sortir de l’immeuble en courant. Cette personne était simplement un coursier. Pour envoyer la fausse menace à Madame Moreille, j’ai fait appel au même service de coursier en demandant à avoir le même livreur. Ce même livreur qui a signé le bon de livraison que l’inspecteur a retrouvé sur votre bureau. Madame Moreille m’a confirmé que c’était le même bruit de pas qu’elle avait entendu
BOUCHARD — Et c’est donc le coursier le coupable ?
JEANNE — Mais non inspecteur.
BOUCHARD — Bah pourquoi pas ?
JEANNE — Le coursier serait monté, il aurait signé le bon de livraison avec son nom, empoisonné le thé du docteur, sans qu’il s’en aperçoive et serait reparti avec les documents qu’il lui aurait confié et tout cela en moins de deux minutes ?
BOUCHARD — Quels documents ?
JEANNE — Plus tard, inspecteur. Ca va vous perdre. Bon je reprends. Vu que personne d’autres n’est entré dans l’immeuble jusqu’à la découverte de votre corps inconscient Docteur Moreau, on peut en déduire que quelqu’un s’est glissé discrètement dans l’appartement, le matin, a empoisonné le sachet de thé que Madame Moreille laisse tous les matins à votre disposition dans la cuisine, puis est reparti.
BOUCHARD (pour lui-même) — Oui. Ça se tient.
JEANNE — L’empoisonnement était d’ailleurs très précis vu votre état. Trois gouttes vous auraient tué sur le champ, une vous aurait simplement paralysé pendant 24h en vous laissant la vie sauve alors que deux gouttes vous ont plongé dans le coma en vous promettant une mort en 36h.
BOUCHARD — Ah mais c’est pour cela que vous n’étiez pas sure à un moment qu’il soit vraiment mort. Ça se trouve on avait mis qu’une goutte dans son thé.
JEANNE — Oui mais vu que le docteur Moreau est toujours dans le coma, si on en croit les explications de l’assistant, il y avait bien deux gouttes dans le thé qu’il a bu. L’équivalent de deux morsures.
BOUCHARD — Mais qui a fait cela ?
JEANNE — C’est la question, n’est-ce pas Docteur Moreau. Votre femme ? Ou ex-femme, on ne sait pas très bien…. Elle rêvait de votre mort, mais de votre mort directe. Quitte à vous tuer, elle l’aurait fait de manière radicale afin d’être encore marier juridiquement avec vous et d’hériter de la moitié de votre fortune. En vous tuant de manière lente, elle aurait pris le risque que cela dure et que votre divorce soit prononcé. Donc ça ne tient pas debout. Si elle avait eu le cran de vous empoisonner, elle aurait mis trois gouttes. Et puis, avec sa jambe, elle était incapable de s’introduire discrètement dans votre appartement pour mettre le poison dans le sachet.
Votre assistant ? Lui a tout fait pour paraitre suspect. Il a fait semblant de me croire quand je lui ai dit que vous n’étiez pas empoisonnée, il a fouillé dans votre appartement comme un voleur, et cerise sur le gâteau, il a fui le pays. Il connait tellement les rumeurs qui disent que vous êtes brouillés qu’il était sûr d’être le coupable idéal. Ce qui est faux, car justement il y a quelques jours, vous aviez trouvé un accord. C’est d’ailleurs une trace de cet accord qu’il cherchait dans votre bureau, malheureusement pour lui, vous ne vouliez pas qu’il puisse mettre la main dessus, pas toute de suite en tout cas. Alors vous les avez fait livrer en lieu sûr par le coursier.
BOUCHARD — Ah ! Les fameux documents que le coursier est venu récupérer !
JEANNE — Dernier élément pour l’innocenter: il est le seul à ne pas avoir de clef de l’appartement, il n’aurait en aucun cas pu s’y introduire discrètement durant la matinée.
Il reste donc vos deux enfants, les deux avaient les clefs, les deux pouvaient se glisser dans l’appartement, les deux connaissaient votre habitude du « thé de la journée » Mais qui a agi ? L’actrice ou le scientifique. Je pense qu’on peut dire que les deux sont des comédiens, car le véritable coupable qui a caché son jeu, c’est bien Henri. Marguerite a un alibi, elle était à sa répétition de théâtre toute la journée, son professeur, Monsieur Leroux l’a confirmé à sa mère. Henri est la seule qui a pu empoisonner le sachet de thé.
BOUCHARD — Henri ? Mais… Mais… Pourquoi a-t-il fait ça ? Ca ne tient pas debout. Vous vous souvenez quand les enfants discutaient hier soir. Ils ont dit que le docteur Moreau leur avait annoncé qu’il avait un cancer. Pourquoi voudrait-il le tuer ? Il savait qu’il ne restait à leur père que quelques semaines à vivre.
JEANNE — Vous avez une idée vous, Docteur Moreau ? Non ? Si un esprit aussi intelligent que vous ne trouve pas, c’est pour une bonne raison : il a tout simplement pas voulu vous tuer. la vérité est tout autre : il n’a versé qu’une goutte de poison dans le sachet.
Son but était de vous plonger dans le coma, de faire semblant de croire en votre mort, de paraitre pour le fils touché par le décès de son père pour qu’à votre réveil vous soyez convaincu qu’il mérite tout votre héritage. C’est pour ça qu’il a insisté pour prévenir votre ex-femme et votre assistant. Pour vous monter qu’à votre mort, il serait le seul à pleurer !
BOUCHARD — Alors que s’est-il passé ? Il s’est trompé ? A versé une goutte de trop ?
JEANNE — Impossible, c’est un grand scientifique, il n’aurait pas fait une erreur aussi grossière.
BOUCHARD — Mais alors quoi ?
JEANNE — La vérité, c’est qu’il y a un second coupable. Quelqu’un d’autre a versé une goutte supplémentaire de poison dans le thé..
BOUCHARD — Mais qui ?
JEANNE — Et bien, cela va peut-être vous surprendre, mais il s’agit d’une personne qui est là depuis le début et qu’on n'a pas encore entendue : vous, Docteur Moreau.
Vous sachant condamné, vous vous posiez beaucoup de questions sur votre héritage, sur votre relation avec votre assistant, sur votre divorce… vous avez eu l’idée de simuler votre mort, de vous rendre paralysé pendant quelques heures pour écouter les réactions de votre entourage. Vous avez d’abord congédié votre gouvernante puis vous avez appelé le coursier pour cacher les contrats avec votre assistant. Puis, une fois qu’il est reparti, vous avez versé une goutte de poison dans votre thé et vous êtes tombé au sol.
Malheureusement pour vous, votre fils, qui vous ressemble tant, qui essaye de vous montrer son soutien, a eu la même idée.
Avez-vous joué de malchance Docteur Moreau ? Je ne saurai dire.
Je vous laisse. Vous allez mourir à la fois victime et coupable.