La Société des Anges est une nouvelle que j'ai écrite entre 2016 et 2018. J'ai écrite une version scénario de ce projet.
Présentation du projet
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Ci-dessous, la version html.
Bonne lecture
La Société des Anges
Scénario
Une série en cinq épisodes par Jean Keuma
Épisode 1 — La nuit, tous les Anges sont gris.
Épisode 2 — Le malheur des uns fait le bonheur des Dieux
Épisode 3 — Le Dieu est dans les détails.
Épisode 4 — Les voies du Sujet ne sont pas impénétrables.
Épisode 5 — Le paradis est pavé de mauvaises intentions.
Épisode 1 — La nuit, tous les Anges sont gris.
On voit un homme (L’ANGE), la quarantaine, assis par terre contre un mur, le regard dans le vide. Il manie dans ses mains un jeton noir nerveusement. Il parle lentement, pour lui.
L’ANGE
Je ne sais pas par où commencer. (un temps) C’est étrange. Je n’ai jamais raconté une de mes missions. Pourtant celle-ci, je m’apprête à la raconter pour la seconde fois.
(un temps)
La première fois non plus je ne savais pas par où commencer.
On voit l’Ange au téléphone dans le noir, éclairer par la lumière de son ordinateur. On ne voit pas ce qu’affiche l’écran de son ordinateur portable. Il parait agité.
L’ANGE (au téléphone)
Qu’est-ce qui se passe ? (un temps)Comment ça ? (un temps) Quoi ? Mais comment c’est possible ?(un temps)Tu as quoi ? (un temps) Tu te fous de ma gueule ? (un temps)Il est comment là ? (un temps) Tu ne le quittes pas des yeux. Tu appelles Leila et vous vous démerdez pour l’approcher et lui donner un calmant. Essayez d’être discret, mais s’il vous calcule trop ce n’est pas grave. Le plus important c’est de le sortir de son état. Vous le maintenez endormi le temps que j’arrive.
L’Ange ouvre la porte de son appartement et tombe nez à nez avec une personne avec une longue toge bleu nuit qui lui couvre les yeux (l’ARCHANGE). L’Ange a toujours son téléphone en main, il regarde le couloir. On voit des personnes habillées avec des capes noires et des masques blancs devant chaque porte des autres appartements.
L’ARCHANGE
Le Dieu souhaite te parler de ta mission.
L’ANGE
Maintenant ?
L’ARCHANGE
Oui, maintenant.
L’ANGE (au téléphone)
Finalement, je ne vais pas pouvoir venir. Tu appelles Camille, tu lui dis de prendre une boucle de 5 minutes où l’on voit le Sujet seul sur le banc et tu la diffuses en continu. Vous faites tout pour le maintenir en vie le temps que j’arrive.
Il raccroche.
L’ARCHANGE
Va chercher ton costume.
L’Ange retourne chez lui
L’ANGE (voix off)
On ne raconte jamais une histoire deux fois de la même manière. Et entre toutes ces versions, se cache ce qu’on ne dit pas.
L’Ange revient dans son appartement, on le voit passer devant son ordinateur qui était resté allumé. Le plan s’approche de l’écran de son ordinateur et on voit un jeune homme de 25 ans sur un banc d’un parc en train de bouger dans tous les sens de manière inquiétante, se gratter partout, crier. L’Ange repasse devant l’ordinateur et le ferme.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Mais peu importe la façon dont je la raconterais, l’histoire sera la même : celle de mon travail. Un travail qui ne ressemble à aucun autre, qui consiste à détruire la vie d’inconnus. Un travail immoral. Mais tous les métiers ont une part d’immoralité.
Une berline noire s’arrête devant un imposant hôtel particulier. L’Ange et l’Archange sortent de la voiture. L’Ange est habillé d’une longue toge vert sapin.
L’ARCHANGE
Mets ton masque.
L’Ange met son masque. Ils avancent vers la maison, la porte s’ouvre à leur approche.
La porte est ouverte par un homme au masque rouge. L’Ange et l’Archange le suivent. Ils arrivent dans un prestigieux hall d’entrée. L’homme au masque rouge leur présente une porte. L’Archange s’arrête.
L’ARCHANGE
Je vais attendre là. Réponds à toutes ses questions. Il a aussi payé pour ça.
L’ANGE
Que veut-il ?.
L’ARCHANGE
Je ne sais pas, mais un conseil : garde ton calme.
L’ANGE
Tu as vu l’état du Sujet ? On devrait déjà travailler à la suite.
L’ARCHANGE
Je ne sais pas s’il y aura de suite.
L’ANGE
Comment ça ?
L’ARCHANGE
Je ne crois pas qu’il ait pris une décision. Votre conversation pourrait être déterminante. Ne la prends pas à la légère.
L’Ange se retourne vers la porte et rentre dans la pièce.
Dans un salon avec un feu de cheminée, un homme(LE DIEU), portant une longue toge rouge similaire à celle de l’Archange, est confortablement assis dans un fauteuil. La pièce est tamisée.
LE DIEU
Vous voilà enfin. Je vous en prie, prenez place.
L’Ange s’assoit sans rien dire.
Moment de silence.
LE DIEU
Savez-vous comment on devient client de la Société des Anges ? Ou plutôt « Dieu », pour reprendre le lexique de cette organisation.
L’ANGE
Je l’ignore.
LE DIEU
Tout est une question de mystère. Un mystère qui nous attire vers cette zone d’ombre, vers cette immoralité sans limites. Au commencement, on ne sait rien. On est qu’une personne haut placée qui fréquente des réseaux de pouvoirs. Dans notre recherche d’ascension, on tend l’oreille tous azimuts afin de saisir les opportunités pour être plus puissant, plus grand. Lors de diners ou d’échanges informels, dans des bouts de conversations volées, on en entend parler, à demi-mot, comme une chose sombre qui ne doit pas être évoquée. On cherche à en savoir plus, on pose des questions, de manière indirecte, on nous évoque l’existence d’une organisation secrète. Le mystère commence alors à nous prendre, on avance, un nom nous est un jour donné « la société des anges », son but reste caché, alors on continue, on sait si peu de choses que ça nous obsède. Puis arrive le moment où l’on a assez d’éléments pour dessiner les grandes lignes de cette organisation : une société qui permet à ses clients de suivre la chute de parfaits inconnus. C’est cruel, sadique, et immoral. C’est si incompréhensible, que ça nous pousse à comprendre, à se rapprocher un peu plus de l’expérience. On nous propose d’y entrer. On assiste à notre première cérémonie, on vous voit, vous les Anges, présenter des sujets. Au début, on ne fait rien, on observe juste. Puis ça ne nous suffit plus, pour percer le mystère, nous n'avons plus le choix, on finance notre première mission. Vous le savez, la première mission que finance un Dieu est souvent timide, on ne veut pas que ça aille trop loin. Mais ça permet de comprendre la logique. On voit ce sujet, cet inconnu dont on nous révèle tous les secrets. On le voit perdre petit à petit ce qui compose son bonheur et sa vie. On l’observe n’être plus rien pour enfin lui accorder une seconde chance. On savoure ce pouvoir. Mais au fil des cérémonies, les missions qu’on finance sont de plus en plus cruelles, on s’intéresse non plus à la morale, mais à l’humain et aux conséquences de sa chute. Ça fait 20 ans que je suis un client de la Société des Anges, j’ai vu toutes sortes de missions, toutes sortes de sujets, toutes sortes de réactions. Le mystère humain et ses limites m’ont été dévoilés. Mais il reste une zone d’ombre dans cette organisation, une question qui m’obsède depuis des années, une question que je n’ai posée à aucun Ange pour l’instant. J’attendais la bonne mission, et je crois que c’est la vôtre.
L’ANGE
Quelle est-elle ?
LE DIEU
Comment faites-vous ? Je vois la chute du sujet sur les documents, les vidéos, les enregistrements. Mais je ne vois pas les coulisses, les mécanismes mis en œuvre pour sa descente aux enfers. Je voudrais que vous me dévoiliez le dernier mystère qui existe encore entre la société des anges et moi : votre travail. Dites-moi comment vous avait fait pour détruire la vie de ce jeune homme.
L’ANGE
Nous ne parlons pas de ça normalement.
LE DIEU
Mais vous allez tout de même le faire. Car n’oubliez pas que dans cette société le client n’est pas roi, il est dieu.
L’ANGE (après un temps)
Je ne sais pas très bien par où démarrer.
LE DIEU
Eh bien, commençons avant votre mission : que fait un Ange quand il ne travaille pas ?
L’ANGE
Nous faisons ce qu’on sait faire de mieux : rester dans l’ombre et observer.
Dans un supermarché, on voit une jeune femme de dos faire la queue, un sac de voyage en bandoulière, elle passe sur le tapis de caisse ses produits, elle a son téléphone à la main, elle envoie une note vocale
LOUISE (à son téléphone, enjouée)
Salut les meufs, je suis déjà Gare du Nord, je suis dans le carrefour à côté, j’achète deux trois conneries, genre des chips. J’ai trop hâte de vous voir et de retrouver la queen du week-end !
Dès qu’elle a envoyé le message vocal, son visage s’assombrit, elle parait fatiguée.
JULIE (la caissière)
Ça fera 10,20€. Vous avez la carte du magasin ?
LOUISE
Oui, je crois, tenez.
Elle reprend ses courses et sort du supermarché. La caissière la suit du regard, en notant quelque chose furtivement sur une feuille, puis se retourne vers le prochain client.
JULIE (la caissière)
Client suivant.
Dans un appartement très simple, on retrouve la caissière, habillée totalement différemment, une bière à la main, s’adressant à une femme (VICTOIRE) et un homme dont on ne voit pas tout de suite le visage.
JULIE
Avec le message que j’ai entendu, et la couronne de fleurs qui dépassait de son sac, tout me laisse à penser qu’elle partait à un enterrement de vie de jeune fille pour Londres. Elle ne paraissait pas très contente d’y aller. Mon hypothèse était qu’elle avait plus de la trentaine, toujours célibataire, et que fêter la joie d’une énième amie fiancée ne l’enchantait guère. Grâce à la carte de fidélité, j’ai pu avoir son nom, je vais continuer à l’étudier, mais de ce que j’ai pu trouver jusqu’à présent je pense que je suis sur la bonne piste. Bon, c’est un sujet déjà malheureux, ça sera une mission facile, mais je pense que je vais partir là-dessus.
VICTOIRE
Pas idiot. Ça va plaire à des dieux âgés, qui ont joui du pouvoir toute leur vie, genre qui ont fait carrière en politique.
JULIE
La vraie difficulté, ce sera comment j’embellis les choses au début. Si dès les premières semaines, le Dieu voit que la vie du sujet est déjà triste, ça ne va pas lui plaire. Et toi tu en es où ?
Dans un restaurant assez chic, on voit Victoire en serveuse, s’approcher d’une table où un homme et une femme, la soixantaine, assez élégants, finissent de diner.
VICTOIRE
Ça a été ?
FRÉDÉRIC VELTIER (l’homme)
Oui, c’était très bon.
CATHERINE (la femme)
Le fondant au chocolat était divin
VICTOIRE
Vous désirez autre chose, un digestif, un café ?
FRÉDÉRIC VELTIER (se retournant vers CATHERINE)
Tu désires un café ?
CATHERINE
Non ça ira, merci.
FRÉDÉRIC VELTIER
L’addition s’il vous plait mademoiselle.
Victoire part, mais on reste dans la conversation.
FRÉDÉRIC VELTIER (à CATHERINE) Tu rentres comment ? Tu sais que tu peux venir chez-moi si tu veux.
CATHERINE
C’est gentil, mais je me lève tôt demain. Une prochaine fois, je te le promets.
On revient dans l’appartement, Victoire tient dans la main son téléphone ou une photo de l’homme est affiché.
VICTOIRE
Il s’appelle Frédéric Veltier, c’est un très bon avocat pénaliste. J’ai un peu creusé, il est parti de rien, mais a très bien réussi sa vie. Il est veuf depuis 12 ans. Il fréquente en ce moment Catherine Dulong avec qui il dinait ce soir-là. J’ai enregistré toute leur conversation, il paraissait assez sympathique. J’ai d’autres sujets potentiels, mais je pense que c’est lui que je vais présenter. Je vois bien de jeunes Dieux, issu de la bourgeoisie dorée, se ruer sur cette mission pour suivre la destruction de ce mec qui, contrairement à eux, a travaillé toute sa vie pour sa situation.
JULIE
Fais gaffe, ce genre de profile est souvent une galère.
VICTOIRE
Oui, je sais, mais ça peut rapporter gros. (se retournant vers l’homme). Et toi, tu en es où ?
L’ANGE (maniant un jeton noir)
Nulle part. On est le 5 décembre, la cérémonie est dans 19 jours et je n’ai rien.
JULIE
Tu n’as aucun back up ?
Un couple sort d’un appartement haussmannien. L’homme appelle un taxi. Un taxi s’arrête, ils montent.
Dans le taxi, la femme (TIPHAINE) parait épuisée et stressée, elle regarde nerveusement son portable, l’homme (Paul) est détendu.
PAUL (au chauffeur de taxi)
101 rue des Couronnes dans le 20e s’il vous plait
(à TIPHAINE) Détends toi un peu. Ça va aller.
TIPHAINE
Excuse-moi ça me stress. Encore, on serait allé dans un resto du quartier, je me dirais qu’on pourrait revenir vite, mais là on traverse Paris.
PAUL
Écoute, c’est le resto du frère de JB, ça va être sympa. Et puis arrête, Manue nous a dit qu’elle était super cette baby-sitter.
Un plan nous montre que c’est l’Ange qui conduit le taxi, il joue avec son jeton noir.
On revient dans l’appartement.
VICTOIRE
Qu’est-ce qui ne te va pas ? Le fait qu’il y ait un enfant ? Tu présentes le mec en Sujet et tu t’arranges pour que la femme et l’enfant soient heureux. C’est un peu de taf, mais ça se fait. Amine avait fait un truc similaire pour une de ses missions il y a deux trois ans.
L’ANGE
Non, ce n’est pas ça le problème. Le problème c’est que ce mec est un enfoiré. Dès qu’ils sont rentrés, il y avait un truc qui me dérangeait, mais j’ai mis du temps à comprendre quoi. Puis j’ai finalement capté : il y avait dans la voiture, deux odeurs de parfums féminins. Le premier, très marqué, était sucré, assez rond, il s’agissait du parfum de la femme, qu’elle venait de mettre. Mais derrière, de manière très discrète, s’en cachait un deuxième. Noa, de Cacharel.
JULIE
Je ne savais pas que tu t’y connaissais en parfum.
L’ANGE
C’était celui de mon ex. Alors qu’il vient d’avoir un enfant, ce mec trompe sa femme et il s’en fout. Si je le présente, ça va attirer de nouveaux Dieux, qui aiment bien l’aspect moral des missions. Ça ne va pas être une grosse enchère pour énormément de travail.
JULIE
Qu’est-ce que tu vas faire ?
L’ANGE (regardant sa montre)
Je vais retourner dans mon taxi en espérant trouver la perle rare. Merci pour le verre, on se retrouve à la cérémonie.
On voit l’Ange sortir de l’immeuble, monter dans son taxi.
Plan de son taxi dans Paris.
Différents clients se suivent.
On voit l’Ange les observer.
Un jeune homme, Artur, monte dans sa voiture.
ARTHUR
Bonsoir monsieur,
L’ANGE
Bonsoir
ARTHUR
62 rue de l’aqueduc, dans le 10e s’il vous plait.
La voiture démarre. Arthur sort son téléphone.
ARTHUR (au téléphone)
Oui, Antoine c’est moi, c’est Arthur. Je suis parti de l’anniversaire de Valentine, je suis dans un taxi, je rentre(…)oui je suis déjà parti(…)je sais(…)oui, mais j’ai du boulot demain, j’ai une réunion à 8h(…)oui enfin bref, on s’en fout(…)oui(…)du coup, je suis chaud pour que tu ne fasses pas trop de bruit en rentrant(…)haha, je dis ça parce que rien qu’au téléphone je sens que t’es rond comme un ballon mon vieux(…)non, mais t’inquiète(…)il n’y a aucun problème(…)non je ne peux pas dormir chez Anne, elle doit taffer son dossier pour son échange(…)oui à l’étranger(…)oui(…),mais là, ce n’est pas le sujet(…)voilà(…)ne fais pas trop de bruit(…)Non, samedi faut que je bosse, et le soir j’ai promis à Anne que je la verrai(…)Oui, on se retrouve dimanche pour le match.
Merci, monsieur, vous pouvez me déposer là.
Arthur sort de la voiture, l’Ange démarre, jette un œil par la fenêtre pour regarder dans quel immeuble Arthur rentre. Il gare la voiture un peu plus loin, revient devant l’immeuble. Il met un coup de pied dans la porte, rentre dans l’immeuble, prend en photo les interphones et sort. On retourne dans le taxi, on le voit composer un numéro tout en repartant.
L’ANGE
Allo, Leila, c’est moi.
LEILA (en haut-parleur)
Salut, ça va ?
L’ANGE
Dis voir, je viens de t’envoyer une photo d’un interphone. Il y a genre une trentaine de noms. C’est l’immeuble d’un client que je viens de raccompagner qui pourrait être un potentiel sujet. Son prénom c’est Arthur, et de ce que j’ai compris il est en coloc’ avec un Antoine. Tu peux me dire si tu le retrouves sur internet. Il est blanc, châtain, assez grand.
LEILA
Tu veux qu’on se retrouve chez moi pour creuser son profil ?
L’ANGE
Non, moi je vais continuer à tourner ce soir, en chercher d’autres, je n’ai vraiment rien là, mais je le sens bien celui-là. Si tu galères, appelle Camille pour t’aider.
LEILA
Ça marche. Tu as quoi comme première info ?
L’ANGE
Écoute, je dirais 25 ans, sorti d’étude, le mec doit travailler dans un environnement stressant, du style avocat, ou en finance. De ce que j’ai cru comprendre, c’est un mec qui a des potes, une petite amie, et pas de problème d’argent vu qu’il a les moyens de dépenser 15euros pour un trajet qui lui aurait pris vingt minutes à pied. Mais je sens déjà qu’il y a des failles qu’on pourrait creuser.
LEILA
Un bon dossier en résumé.
L’ANGE
Ouais voilà surtout, il a l’air aimable et compréhensif. Il correspond à ce que je cherche : un homme bon.
On revient dans la maison du Dieu.
LE DIEU
Donc là, vous avez votre sujet. Mais comment faites-vous pour avoir toutes ces informations ?
L’ANGE
C’est un processus en trois étapes. La première est, disons… légale. Ça commence par un prénom…
Le prénom « Arthur » s’affiche au premier plan en haut à droit de l’écran.
L’ANGE
… et une liste de noms possibles, ceux des interphones.
Une liste de noms déroule à côté du prénom comme une machine à sous d’un casino.
L’ANGE
En quelques clics, on a une identité
La roulette s’arrête à « Garlot ».
L’ANGE
On peut donc commencer les recherches.
Dans une salle de réunion, gros plan sur Leila. Durant toute la scène, le nom d’Arthur Garlot reste affiché et à chaque nouvelle information, on voit à l’écran/au premier plan une nouvelle ligne ou une nouvelle photo.
LEILA
Il a 25 ans (information noté en premier plan). J’ai vu son LinkedIn qu’il est junior chez KDK(information notée en premier plan) c’est un cabinet de fusion acquisition, il doit pas mal bosser. Salaire annuel estimé 70k€ par an(information notée en premier plan).
LEILA
Il a fait son collège et son lycée, à Bordeaux à Gustave Effel(information notée en premier plan). J’ai eu la confirmation par la suite qu’il était né dans cette ville. Puis il est allé à Paris où après deux ans de prépa, il a fait l’ESSEC(information notée en premier plan).
LEILA
J’ai trouvé son Facebook, il est en privé, mais j’ai pu au moins avoir accès à sa liste d’amis. À partir de là, j’ai retrouvé pas mal de profils Facebook et Instagram de son entourage (en premier plan sont notés les noms de ses amis) Son compte Insta est privé également donc pas très intéressant, mais j’ai pu par contre avoir celui de sa copine, Anne Dubois(information notée en premier plan), qui elle s’étend pas mal sur ce réseau, j’ai leurs photos en Italie par exemple(on voit les photos en premier plan). J’ai aussi retrouvé son compte twitter, il parle pas mal de foot, et un peu de politique, mais de façon soft.
L’ANGE
J’ai l’impression qu’il vient d’un milieu plutôt aisé.
LEILA
Ouais, sur les photos que j’ai retrouvées de son adolescence(photos en premier plan), il faisait du catamaran à 15 ans à l’UCPA…donc ça devait aller.
L’ANGE
Parfait.
On revient dans la maison du Dieu.
L’ANGE
À partir de là, on peut passer à la deuxième étape… un peu moins légale.
Un homme habillé en réparateur d’ascenseur avec un sac style plombier/ouvrier se retrouve devant la porte de l’immeuble d’Arthur. Quelqu’un sort de l’immeuble, il se glisse dans l’immeuble en se justifiant.
NATHAN
Merci monsieur. Toujours une galère ce genre d’immeuble, on nous donne jamais le code. Je viens pour l’ascenseur.
LE VOISIN
L’ascenseur ? Mais il fonctionne très bien.
NATHAN
On est bien au 62 rue de l’aqueduc ?
LE VOISIN
Oui.
NATHAN
Il a dû se débloquer le temps que j’arrive. Bon je vais tout de même faire un contrôle. Vous pouvez m’ouvrir la deuxième porte.
LE VOISIN
Bien sûr.
LE VOISIN passe son badge sous l’interphone et ouvre à NATHAN la porte.
NATHAN
Merci.
LE VOISIN part. NATHAN appelle l’ascenseur et met ses airpods.
NATHAN
C’est bon, je suis dedans.
On se retrouve dans une salle de réunion avec L’ANGE, MARIUS et LEILA avec un écran au mur, un téléphone pieuvre sur la table qui diffuse la voix de NATHAN. L’ANGE ne parle pas directement à NATHAN, c’est MARIUS et LEILA qui lui parlent, en appuyant sur un bouton.
MARIUS
Nathan, tu nous entends ?
NATHAN
Bien sûr Marius.
MARIUS
Tu peux commencer .
La scène alterne entre NATHAN dans l’ascenseur, et L’ANGE/MARIUS/LEILA dans la salle de réunion.
NATHAN sort une sorte de téléphone tactile, mais avec une antenne un plus large. Il appuie sur le bouton de l’ascenseur pour aller jusqu’au dernier étage.
NATHAN
Pas mal de signales Wifi. Vous les voyez ?
MARIUS
Oui c’est bon.
Sur l’écran de la salle de réunion, des noms de wifis s’affichent « LIVEBOX-46 » « FREEBOX-7539 »… en colonne sur la partie gauche de l’écran
L’ANGE (à LEILA)
Vas-y, fais défiler les noms… Ça doit être celui-là.
L’ANGE pointe le nom « Colocdeturettoine».
LEILA (en appuyant sur le bouton devant elle pour parler à Nathan)
Nathan, c’est le wifi qui s’appelle « Colocdetureettoine ».
NATHAN
OK, ça marche.
MARIUS (à Nathan)
Tu arrives à évaluer plus précisément d’où vient le signal ?
Dans l’ascenseur, Nathan regarde toujours son téléphone avec la grosse antenne, en descendant étage par étage.
NATHAN
Yes.
Il sort de l’ascenseur. Sur le palier, il y a deux portes. Il balance son téléphone de droite à gauche.
NATHAN
Je peux même te dire l’appartement ! Ça vient du 4e gauche.
MARIUS
OK, ne te fais pas griller l’ami !
NATHAN
Je retourne me planquer en haut.
Nathan retourne dans l’ascenseur et remonte.
On retourne dans la salle de réunion.
LEILA (à l’ANGE)
Bon, il va lancer son logiciel de mot de passe et se connecter à leur wifi.
Sur l’écran, des lettres défilent devant le nom du wifi.
NATHAN
C’est bon.
Les lettres de l’écran disparaissent. Le nom du wifi « Colocdeturettoine » se met en vert.
MARIUS (à NATHAN)
C’est quoi le mot de passe ?
NATHAN
Comme le nom de leur wifi : colocdeturetoine en minuscule.
L’ANGE (à LEILA et MARIUS)
Bon, la bonne nouvelle c’est que nous n’avons pas affaire à des experts en cybersécurité.
Dans l’ascenseur, Nathan sort un ordinateur et le connecte à son téléphone.
NATHAN
Je copie les paramètres du WIFI et je remplace le signal.
Sur l’écran de la salle de réunion, on voit devant le nom du wifi « colocdeturetoine » des mots s’afficher comme : « DNS » « PORT43 » «MODEM » « 1.191.243.540 » Une ligne en rouge apparait sous le nom du wifi, qui copie la ligne du dessus (« colocdeturetoine » « PORT43 » «MODEM » « 1.191.243.540 » ).
LEILA (à L’ANGE)
Il a créé un faux signal wifi qui est une copie du leur et il va déconnecter le vrai.
La ligne verte devient noire.
LEILA (à L’ANGE)
C’est fait. On a plus qu’à attendre que leurs téléphones et leurs ordinateurs se connectent au faux signal.
NATHAN
J’ai six appareils connectés.
MARIUS
Parfait. Tu me dis quand tu as récupéré toutes les informations.
NATHAN
C’est bon. Je vous les envoie.
MARIUS
Merci Nathan. Tu peux y aller. Fais attention à ne pas vraiment rester coincé dans l’ascenseur. On se tient au courant.
Marius raccroche.
MARIUS
C’est vraiment le meilleur sur le terrain le Nathan. Il est pro, rapide, carré.
L’ANGE (à Leila)
On va prendre le temps de fouiller en détail, mais déjà, affiche ce qu’on a.
Sur l’écran, trois logos de téléphones et trois logos d’ordinateurs s’affichent.
LEILA
Donc on a trois téléphones et trois ordinateurs.
L’ANGE
On est bien d’accord que pour chacun, on a leur historique de navigation, les identifiants enregistrés sur leurs appareils et les traqueurs de publicités ?
LEILA
Tout à fait.
L’ANGE
Affiche les historiques pour qu’on jette un œil.
Leila clique sur sa souris et des listes défilent avec des noms de sites web. L’ange pointe une liste d’un des logos de téléphone et une liste d’un des logos d’ordinateurs.
L’ANGE
OK, sur cet appareil et cet appareil on peut voir des recherches internet liées au MMA, un sport de combat un peu à la mode, c’est le grand délire d’Antoine le colocataire si j’en crois ce que j’ai vu sur son twitter et son Instagram. On peut penser que ce téléphone et cet ordinateur sont à lui, mets-les de côté pour l’instant.
Les deux appareils disparaissent de l’écran.
L’ANGE (en pointant un logo téléphone et un logo ordinateur)
OK, ça et ça, vu l’historique ce sont clairement des appareils pros. Il est bien kiné son coloc ?
LEILA
Oui.
L’ANGE
OK, jamais il n’aurait fait ce genre de recherche. Ce sont les appareils pros d’Arthur, notre sujet. Pareil, on va les mettre de côté pour l’instant. Les deux derniers, ça doit être donc son ordi et son téléphone perso. Fais défiler l’historique de son ordinateur. (il lit les sites qui défilent). Youtube, Insta, twitter, le monde, les inrocks, So foot, Facebook. On peut avoir les identifiants de ses réseaux sociaux ?
LEILA
Non, c’est sur son ordinateur, mais en cryptés. Et sur ce genre de site si on fait des tests de connexions, ça va se bloquer au bout du deuxième essai, il faut trouver un site un peu moins pro où il aurait un compte…
MARIUS (regardant l’écran)
Je n’y crois pas, tu as choisi un sujet qui supporte les Girondins. C’est rare.
L’ANGE
Où tu vois ça ?
MARIUS
Là. Il est allé sur le site « Girondins-supporters.fr ».
L’ANGE
Parfait. (à LEILA) Tu as des identifiants pour ce site ?
LEILA
Oui. On a un email, mais un mot de passe chiffré.
Sur l’écran s’affichent l’email « arthur.garlot@gmail.com » et un mot de passe cryptée.
LEILA
Ce n’est pas un site totalement amateur.
L’ANGE
On va voir ça. Lance le logiciel pour tester les mots de passe et essayer de te connecter au site avec son email.
Des lettres défilent et le mot « MarcPlanus33 » apparait.
LEILA
OK. C’était assez rapide.
MARIUS
Donc non seulement il est girondin, mais il est fan de Marc Planus !
L’ANGE (ignorant MARIUS)
Donc là, on a un email et un mot de passe. Essaye ces identifiants sur un autre site, genre Facebook.
LEILA
Ça marche.
L’ANGE
Bon, bah a priori ça va être facile.
On revient dans la maison du Dieu.
L’ANGE
Arthur Garlot avait le même mot de passe partout. On a pu se connecter à son compte Instagram, Facebook, twitter, Google drive. On a pu lire ses messages whatsapps, ses emails.
Au premier plan apparait des bouts conversations venant de whatsapp, d’Instagram, de gmail. Tout parait très désordonné.
L’ANGE
On a eu de la lecture qu’on a juste triée pour récolter quelques informations.
Les messages sont toujours au premier plan.
On voit la table de réunion présider par l’Ange, LEILA est à gauche, CAMILLE à droite. Ils ont chacun un ordinateur devant eux et un carnet,
L’ANGE
Pour s’organiser, on va se concentrer sur trois axes : l’organisation de ses amis, sa relation avec sa famille, et ses problèmes du moment.
Les mots « AMIS » « FAMILLE » « PROBLEME » apparaissent en haut, au premier plan.
L’ANGE
C’est qu’une première approche, donc on remonte à 6 mois sauf si vous voulez creuser des sujets en particulier. On y va.
On voit un plan accéléré où les trois personnages travaillent sur leurs ordinateurs et prennent des notes. Pendant ce temps, au premier plan, les messages se déplacent sous chacun des pôles comme s’ils étaient triés.
Le plan accéléré s’arrête.
Gros plan sur l’Ange.
L’ANGE
Bon. On t’écoute Camille.
Gros plan sur CAMILLE avec le mot AMI en titre en haut de l’écran.
À chaque évocation d’une personne, on voit sa photo s’afficher avec un commentaire écrit à la main en dessus.
CAMILLE
Pour ses amis, il a tout un groupe d’amis qui sont des bordelais qui comme lui sont allés à Paris pour leurs études. Ils étaient la plupart dans le même lycée. Parmi ce groupe, il y a Antoine son colocataire et meilleur pote, Stéphane Renard chez qui tous ses amis se retrouvent souvent en vacances au Cap Ferret, Sophie Bernaud, qui est architecte et qui est celle qui a présenté Arthur à Anne Dubois, sa petite amie. Ce groupe s’est d’ailleurs étoffé avec pas mal de +1 qui ne sont pour la plupart pas bordelais. Arthur échange régulièrement avec des amis d’école de commerce, comme Medhi, Mathilde et Florian, mais il n’y a pas de groupe d’amis à proprement parlé.
Gros plan sur LEILA avec le mot FAMILLE en titre en haut de l’écran.
À chaque évocation d’une personne, on voit sa photo s’afficher avec un commentaire écrit à la main en dessus.
LEILA
Pour sa famille, il a un frère, Maxime, qui fait des études à Toulouse. Ils n’ont pas l’air très proches. Leurs parents passent la grande partie de leur temps à l’étranger à cause du métier de sa mère, ingénieur dans le secteur du pétrole. Son père, journaliste, suit à chaque fois sa femme dans les pays où elle va et trouve sur place un travail dans un journal local ou national.
Gros plan sur L’ANGE avec le mot PROBLÈME en titre en haut de l’écran.
À chaque évocation d’une personne, on voit sa photo s’afficher avec un commentaire écrit à la main en dessus.
L’ANGE
Quant à ses problèmes, il se plaint de voir moins ses amis depuis un an et demi qu’il a commencé son travail, qu’il est très amoureux de sa copine, mais que celle-ci cherche à faire un stage à l’étranger et ça l’emmerde, il adore Antoine, mais la coloc avec lui commence à se compliquer, car ce dernier a des horaires plutôt tranquilles et fais beaucoup la fête. Arthur et lui ont des rythmes de vies différents.
On retourne chez le Dieu.
L’ANGE
À partir de là, je n’avais plus aucun doute, j’allais présenter Arthur Garlot comme sujet pour ma prochaine mission. Mais une simple description ne vous aurez pas convaincu à la financer. Il fallait du son et de l’image. C’était la troisième et dernière étape.
On entend de la musique electro en fond de manière étouffé.
On voit ANTOINE rigoler avec des amis (dont STÉPHANE) et faire la queue pour le vestiaire d’une boite de nuit.
STÉPHANE
Dis-moi Antoine, il n’est pas là Arthur ?
ANTOINE
Non, il passe la soirée tranquille avec Anne, car demain il devra taffer.
STÉPHANE
Faut vraiment qu’il arrête.
C’est à leur tour de déposer leur manteau. Une jeune femme, BÉATRICE, prend leur manteau et leur donne un ticket. La caméra suit le manteau qui est accroché au ceintre.
Un temps passe.
Puis le manteau est décroché, mais la jeune femme le donne à l’ANGE
L’ANGE
Merci beaucoup bonne soirée.
L’ANGE met le manteau d’Antoine, palpe les poches et sort d’une des poches un trousseau de clefs. Il sort de la boite de nuit, avance dans la rue, puis monte à l’arrière d’une camionnette. Un vieil homme, BERNARD, entouré de clefs, et avec une machine devant lui l’attend. L’ANGE lui passe le trousseau. Le vieil homme prend une clef au mur, puis passe une des clefs du trousseau dans la machine. Il souffle sur la nouvelle clef et rend le trousseau à l’ANGE.
BERNARD
Tiens.
L’ANGE
Merci Bernard.
BERNARD
De rien jeune homme.
L’ANGE sort de la camionnette, retourne devant la boite, dit un mot dans l’oreille du videur, revient devant le vestiaire.
L’ANGE
Rebonsoir, je n’ai pas remarqué tout de suite, mais vous vous êtes trompé de manteau. Ce n’est pas le mien celui-là. Le mien c’est le noir là. Mon ticket c’était le 29.
L’ANGE pointe un manteau. La jeune femme lui donne, confus.
BÉATRICE
Je vous prie de m’excuser. Je me disais en plus que c’était bizarre, je venais de le poser celui-là.
L’ANGE
Pas de problème.
L’ANGE tient la nouvelle clef dans sa main.
La musique electro devient normale, elle n’est plus étouffée. Elle continue pendant les prochaines séquences.
NATHAN tient la clef en main. Il est avec deux autres personnes devant la porte de l’appartement d’Arthur et Antoine. NATHAN ouvre la porte.
Ils installent des caméras et des micros dans les pièces, et allument les ordinateurs en insérant une clef USB.
Autour de la table se tiennent LEILA, L’ANGE et MARIUS. Sur l’écran apparait des vidéos des différentes de pièces de l’appartement d’Arthur et Antoine. On voit NATHAN faire un pouce en l’aire face à la caméra pour demander si c’est bon. On voit MARIUS appuyer sur le bouton du téléphone et lui dire que c’est OK. L’ANGE se lève et quitte la pièce.
Arthur et Anne dinent ensemble dans un restaurant de sushis, leurs portables sont sur la table. Le serveur leur apporte leurs plats. Le plan le suit dans la cuisine où il donne les deux téléphones à MARIUS qui les connecte à son ordinateur.
L’ANGE déplace un nouvel écran, où apparait comme une capture d’écran live de deux téléphones, avec le nom « Arthur (téléphone perso) » et « Anne » au-dessus.
Un couple semble s’engueuler dans la queue pour la sécurité d’un aéroport, un vigile leur demande de déposer leurs téléphones. Ils le font. Le vigile amène leurs téléphones derrière le poste de contrôle, les branche à un ordinateur et leur rend une fois qu’ils ont passé le portique de sécurité.
Sur l’écran, à côté des captures d’écran live des téléphones d’Arthur et Anne, apparaissent deux nouveaux téléphones avec les mentions « Caroline, mère Arthur » et « Lionel, père Arthur ».
On voit STÉPHANE, ANTOINE, et LOÏC accoudé à un bar en train de rigoler, un peu éméché.
Sur l’écran, de nouvelles captures d’écran apparaissent avec les noms « Antoine » « Stéphane » « Loic ».
La musique electro s’arrête.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Tout était prêt. Les informations qu’on avait compilées ont été triées, agencées et envoyées aux Dieux. Pendant quelques jours, ils ont pu découvrir la vie de tous les sujets que les anges avaient sélectionnés pour eux. Avant le soir des enchères pour le financement de leurs chutes.
On voit l’Ange sur la chaise de son bureau, maniant son jeton noir. Sa chaise est une chaise à roulette pouvant pivoter. Il regarde l’écran de son ordinateur où l’on voit Arthur en train de dormir dans sa chambre. L’Ange reste silencieux. Par la fenêtre, on voit le jour se lever.
On voit ce qu’on voyait par l’ordinateur, la chambre d’Arthur avec lui dans son lit en train de dormir.
On passe de différents plans rapprochés : son téléphone, son ordinateur, les livres sur sa table de nuit.
On revient en plan large, et l’on voit l’Ange, sur sa chaise de bureau, au milieu de la chambre d’Arthur. Ce dernier dort toujours. L’Ange parle en regardant Arthur.
L’ANGE
Arthur, on est le samedi 24 décembre et aujourd’hui va te paraitre une bonne journée. J’ai vu que tu avais mis un réveil à 10 h 30 sur ton téléphone, mais tu vas te réveiller avant. Tu t’es couché vers minuit et demi, donc si j’en crois tes cycles de sommeil de ces deux dernières semaines, tu vas te réveiller vers 9h. En plus, tu n’as pas bu d’alcool hier soir. Pourtant ton coloc t’a écrit à 19 h 40 hier en te disant « prends tes bières », mais tu n'as vu ce message qu’à 20h10 quand tu étais déjà arrivé chez toi. Tu vas donc te lever tranquillement, reposé…
Arthur se réveille.
L’ANGE
Tu vas un peu regarder ton téléphone, prendre une douche, puis faire ton sac.
Arthur se lève et sort de sa chambre.
L’Ange se lève de sa chaise, en fait le tour et pose ses mains sur le dossier.
Arthur revient habillé dans sa chambre, il met son manteau et prend son sac et sort de sa chambre.
L’ANGE
À 11h, tu vas partir de chez toi.
Arthur marche, derrière lui l’Ange le suit, en poussant sa chaise. L’Ange est comme invisible pour Arthur.
L’ANGE
Tu hésiteras entre prendre le métro ou marcher. Selon les prévisions météo, il fera beau, tu seras un peu en avance, tu décideras donc d’y aller à pied. Tu as rendez-vous avec Anne au Vertigo pour un brunch. Tu as réservé il y a 4 jours sur le site du restaurant. C’est Sophie qui t’a recommandé ce restaurant dans un échange de messages que vous avez eu lundi dernier.
Arthur arrive au restaurant, s’installe à une table. L’Ange arrive en roulant, assis sur sa chaise. Il se place sur la gauche d’Arthur qui ne le voit pas.
L’ANGE
Anne va évidemment arriver en retard. C’est un sujet récurrent entre vous. Elle va même probablement envoyer son fameux message « un peu en retard à toute de suite » qu’elle a envoyé 17 fois sur les 12 derniers mois.
Le portable d’Arthur qui est posé sur la table reçoit un message, Arthur le consulte.
L’ANGE
Ça ne dérangera pas. Tu attendras en observant les gens autour de toi. Quand elle arrivera enfin…
ANNE arrive, embrasse Arthur et s’assoit en face de lui. Un serveur arrive et leur donne des menus.
L’ANGE
Anne prendra le brunch végétarien évidemment. Tu as choisi ce restaurant pour ça.
Anne et Arthur parlent sans qu’on entende leur conversation.
L’ANGE
Tu vas lui parler de l’email que t’a envoyé ton boss hier après-midi disant que tu faisais du « très bon boulot ces derniers mois ». Tu as été touché par ce mail, puisque tu en as parlé hier soir à Antoine, ton coloc. Tu lui as même dit que tu devrais être plus disponible à partir de janvier. Puis viendra le moment des cadeaux.
Arthur offre un paquet cadeau à Anne.
L’ANGE
Tu lui offriras le collier que tu as commandé en ligne il y a trois semaines sur le site Farfecht.com. Elle sourira surement en le voyant, mais au fond elle sera déçue. Vu ses consultations Instagram de ces derniers jours, elle aurait préféré un collier un peu plus sobre. Elle t’offrira une paire de sneakers qu’elle a acheté en magasin il y a 5 jours. À 13h, vous vous quitterez. Elle a un train pour Montpellier, toi pour Bordeaux.
Arthur paye l’addition et ils se lèvent.
Arthur est assis dans le train. Il regarde un film sur son ordinateur avec ses écouteurs.
L’Ange apparait dans le couloir, sur sa chaise.
L’ANGE
Dans le train, tu regarderas le premier épisode de cette série, « les émotions muettes » dont on t’a tant parlé ces dernières semaines. Stéphane tout d’abord en a parlé sur le groupe whatsapp de votre bande d’amis il y a 13 jours, puis Antoine et Sophie t’en ont également dit du bien. Tu as même vu une story de Margot, une amie bordelaise qui décrivait cette série comme la meilleure chose qu’elle ait vue. Dans le train, tu seras bien. Le siège à côté de toi sera vide, tu pourras t’étaler. C’est moi qui ait réservé ce siège juste après que tu es acheté ton billet sur l’application dédiée de ton téléphone. C’est pour que tu aies de la place. C’est un peu mon cadeau de Noël.
Arthur marche dans la rue. Un ami, RÉMI, l’attend à la terrasse d’un café. On n’entend pas leur échange, ils se disent bonjour. Le serveur leur sert deux pintes de bière. L’ANGE pousse sa chaise jusqu’à leur table et s’installe au milieu d’eux.
L’ANGE
Avant de retrouver tes parents, tu as prévu de boire un verre au Furtado, avec Rémi, un ami bordelais que tu ne vois plus trop. C’est lui qui t’a contacté via Messenger. Tu as hésité longtemps avant de lui répondre, mais tu as finalement accepté. Il va te parler des festivals de musique qu’il organise cet été. Tu réaliseras à quel point vous avez des vies différentes, ça t’amusera.
L’Ange se lève, pousse sa chaise d’un grand coup pour qu’elle sorte du cadre.
La chaise glisse dans une salle à manger, d’un intérieur assez bourgeois où les parents d’Arthur, son frère et Arthur dinent autour de la table. La chaise s’arrête au bout de la table, suivi par l’Ange qui s’assoit comme s’il présidait.
L’ANGE
Le soir, tu te retrouveras en famille. Suite aux insistances de ton frère et toi sur votre groupe familial Whatsapp, ton père aura cédé et préparé son fameux gratin dauphinois et sa dinde aux marrons. Il a fait les courses jeudi dans la journée. Quant à ta mère, elle a acheté de très bonnes bouteilles hier soir.
La mère d’Arthur ouvre le vin, toute la famille semble heureuse.
L’Ange pivote sur sa chaise et on se retrouve dans son appartement, à observer son ordinateur où on voit Arthur dormir dans sa chambre.
L’Ange est dans la position du début, il manie son jeton en fixant son ordinateur. Sur son écran,on voit Arthur encore dans son lit.
L’ANGE
J’ai assez de données sur tes proches et toi Arthur pour savoir qu’aujourd’hui va te paraitre une bonne journée. Pourtant, aujourd’hui est peut-être le jour le plus malheureux de ton existence. Car aujourd’hui ton nom sera cité à la Cérémonie des Dieux.
L’Ange se lève, et sort de son appartement.
On voit l’Ange, l’aire sombre, marcher dans Paris. Les gens sont particulièrement heureux autour de lui, dans une ambiance de Noël.
Plusieurs plans de lui marchant dans Paris.
Il s’arrête à un feu.
Un homme (AMINE) est à côté de lui. Ils ne se regardent pas.
AMINE
Comment vas-tu ?
L’ANGE
Comme une veille de Noël.
Le feu passe au vert, ils traversent la rue. Ils longent des barrières de travaux et furtivement, Amine déplace une barrière et ils pénètrent sur le chantier.
C’est un énorme chantier. La caméra suit Amine et l’Ange de près puis le plan devient plus large et l’on voit que de nombreuses personnes marchent vers le centre du chantier, où un par un, ils descendent dans un trou par une échelle.
Une fois que l’Ange est arrivé en haut du trou. Il attend que d’autres passent. Personne ne parle. Il ne reste plus qu’Amine et l’Ange.
AMINE
Tu fermeras la voie.
L’ANGE
Oui.
Amine se glisse dans le trou. L’Ange regarde vers le ciel, en manipulant son jeton noir. Il prend une grande inspiration, va dans le trou, descend un peu l’échelle, puis ferme la trappe par-dessus lui.
L’Ange marche penché, dans des galeries souterraines. Au bout d’un moment, sur son chemin, il y un jeune homme (ROMAIN), assis par terre, pleurant. Il a déjà son habit d’ange. L’Ange le regarde. Puis s’assoit près de lui.
L’ANGE
C’est ta première mission seul ?
ROMAIN
Oui.
Un temps passe. L’Ange manipule son jeton noir.
L’ANGE
Mets ton masque, ça cachera tes doutes.
Romain cherche dans son sac et sort un masque d’ange. L’ANGE se lève, et sort de son sac sa toge qu’il met. Il tient son masque à la main.
L’ANGE
Allons-y.
L’Ange ouvre une porte métallique.
On voit l’Archange faire les 100 pas.
L’ARCHANGE
Vous êtes en retard, il ne manque plus que vous.
Romain se presse. L’ANGE dépose son sac tranquillement.
L’ARCHANGE
Dépêche-toi. Les Dieux sont sur le point d’arriver.
L’Ange se retourne vers l’Archange sans rien dire, le fixe. Puis il poursuit vers le couloir.
Il entre dans une énorme salle où se tient au milieu une scène entourée de tribunes en hauteurs où sont placés d’imposants fauteuils.
Sur la scène d’autres anges, habillés de toge et de masque se tiennent en cercle. L’Ange rejoint le cercle. L’Archange pousse des anges et se place au milieu. Il tient à la main un grand bâton.
L’ARCHANGE
Chaque année, je le répète, vous devez venir à l’heure à la Cérémonie. C’est un moment important pour nos clients. Et puis tenez-vous droit, vous êtes affalés. Bon, on va démarrer. Je lance, les Dieux arrivent , je fais mon speech, puis vous partez en ligne vers cette direction. C’est parti.
L’ARCHANGE tape son bâton contre le sol. La lumière s’éteint. Un roulement de tambour et un son grave se font entendre. Une lumière est projetée sur l’Archange et les Anges.
Là où se trouve l’Archange, la scène se soulève, il monte à 5-10 mètres du sol.
Il lève les mains en criant.
L’ARCHANGE
Vénérables Dieux, moi, l’Archange, je vous prie
De bien vouloir rejoindre les Anges ici,
Pour nous montrer votre force et votre puissance
Sur le négligeable, sur l’insignifiance.
Les percussions deviennent de plus en plus fortes.
LES ANGES
Pour nous montrer votre force et votre puissance
Sur le négligeable, sur l’insignifiance.
Le toit de l’amphithéâtre s’ouvre. Une passerelle se détache du centre du plafond et lévite dans l’air en dessinant de grands cercles. Pendant que le bruit s’accélère, les Dieux descendent chacun leur tour de la passerelle pour rejoindre les fauteuils. Ils sont habillés de voiles montant jusqu’à leurs yeux. Puis le fond sonore s’arrête et le temps reste suspendu. Plus personne, dans cet immense hémicycle, ne bouge.
Plan rapproché sur l’Ange qui observe son voisin. On reconnait ROMAIN qui tremble.
L’ARCHANGE
Anges, c’est à vous maintenant de disparaitre,
Pour revenir chacun votre tour présenter,
Les piètres Sujets, les misérables êtres,
Que les vénérables Dieux vont étudier.
Les Anges sortent de l’amphithéâtre en file indienne.
Une fois dans les coulisses, l’Ange enlève son masque et pose la main sur Romain qui est devant lui.
L’ANGE
Ne te fais pas avoir par tout ce folklore.
L’ANGE le dépasse et entre dans une grande alcôve où les anges ont tous enlevé leurs toges et masques.
Ils fument, boivent, parlent fort. Ambiance très festive. L’Ange s’assoit sur un fauteuil. Il manipule son jeton noir en fixant un point devant lui. À ses côtés c’est très bruyant. On entend les autres Anges se moquer de l’Archange.
Julie s’assoit sur un fauteuil près de lui. Il se tourne vers elle et lui sourit.
L’ANGE
Tu es déjà passé ?
JULIE
Oui. À l’instant.
L’ANGE
Combien ?
JULIE
5 millions.
L’ANGE
Pas mal.
JULIE
Oui, c’est cool, je suis contente.
L’ANGE
Tu as toujours le même sujet dont tu m’avais parlé ?
JULIE
Oui. Ça ne devrait pas me couter plus de cinq cents milles.
VICTOIRE arrive sur la gauche.
VICTOIRE (à JULIE)
Bien joué pour ton enchère.
JULIE
Merci meuf. Tu es passée ?
VICTOIRE
J’y vais là (en s’adressant à l’Ange). D’ailleurs, tu passes juste après.
L’ANGE
Vas-y, je te suis.
Il se lève.
JULIE
Bon courage.
VICTOIRE et l’ANGE quittent l’alcôve au milieu de la fête.
Ils se retrouvent dans la coulisse de l’amphithéâtre. On entend l’Archange au loin.
VICTOIRE
Je déteste les cérémonies.
L’ANGE
Moi aussi. C’est peut-être le moment le plus cruel.
VICTOIRE
Je suis contente que tu sois à côté.
L’ANGE
Tu resteras à mon passage ?
VICTOIRE
Pas de problème.
Ils s’enlacent. On entend un grand bruit grave. VICTOIRE se retourne et met son masque.
VICTOIRE
Allez, c’est à moi.
VICTOIRE rentre sur la scène, L’ANGE la regarde en manipulant son jeton noir. ROMAIN arrive à côté de lui. Il parait stressé. L’ANGE le regarde.
ROMAIN
Je passe après toi.
L’ANGE
On t’a expliqué comment ça se passe ?
ROMAIN
Pas trop.
L’ANGE
Tu avances jusqu’au milieu de la scène. L’Archange fait son speech. Tu balances les vers que tu as préparés. Tu parles fort en dirigeant ton regard sur le fond de la salle.
Pendant qu’il décrit la scène, on voit VICTOIRE proclamer un texte inaudible.
ROMAIN
J’ai peur que mon texte ne soit pas assez clair.
L’ANGE
On s’en fout de ça. Les Dieux ont déjà récupéré toutes les informations sur nos sujets depuis quelques jours.
Plan d’un Dieu dans une tribune, il a dans la main une tablette où des informations sur le sujet de VICTOIRE sont affichées.
L’ANGE
Ton texte ne sera que du spectacle.
VICTOIRE a fini son texte. On revient sur le plan sur le Dieu. Il prend en main une petite cloche qui est devant lui.
L’ANGE (en voix off)
Ils savent déjà s’ils veulent enchérir pour ta mission ou non.
Le Dieu fait sonner sa clochette. On entend plusieurs cloches sonner.
Plan sur l’Ange et Romain qui observent la scène.
L’ANGE
3 millions. Elle va être déçue.
Un bruit grave retentit. L’ANGE met son masque et entre sur la scène.
On voit peu de lumière. Il se place au milieu. Le bruit grave s’arrête. Spot de lumière sur l’Archange qui se trouve à une tribune à quelques mètres de l’Ange.
L’ARCHANGE
Les Dieux t’accordent leur temps, leur attention,
Ils daignent écouter ta proposition.
La lumière se concentre sur l’Ange. Un silence.
Il respire un grand coup et commence son texte.
L’ANGE
Chers Dieux je vous propose un jeune homme aimé,
Bercé d’amour filial, mais aussi amical
De formidables liens desquels on ne peut douter
Un bouclier voué à le garder du mal
Arthur est si aimable, gentil et talentueux,
Que l’on dirait sans peine son bonheur mérité
En cela il possède le charme d’un homme heureux
Sans vous, Seigneurs, sa vie serait pleine de succès
Parmi les siens, Arthur est en sécurité
Votre pouvoir est-il plus fort que ses filets ?
Pouvez-vous vraiment renverser la vie d’un saint ?
Mais qu’arrive-t-il alors quand chute un homme honnête ?
Le si gentil agneau se transforme-t-il en bête ?
Que deviendra-t-il quand il ne sera plus rien ?
La lumière se baisse. Plan sur la tribune des Dieux.
Un silence puis on entend les premiers sons de clochettes.
Plan sur l’Ange, les bras le long du corps, dans une de ses mains il manipule discrètement son jeton noir.
Les sons de clochettes s’accélèrent. L’Ange trépigne.
Un silence.
La lumière se focalise sur l’Archange, mais celui-ci parait hésiter.
L’ARCHANGE (hésitant)
Sache, Ange… qu’un Dieu … seconder
L’Ange observe l’Archange quelques secondes, puis sort de la scène. Il rejoint VICTOIRE.
Dès qu’il sort de scène, VICTOIRE lui saute dessus.
VICTOIRE
Tu as même réussi à faire taire l’autre illuminé !
L’ANGE
Pourquoi est-il comme ça ? De combien est l’enchère ?
VICTOIRE
Tu ne sais pas ? Quarante-trois millions !
On revient dans la maison du Dieu.
LE DIEU
On m’a dit que c’était un montant record.
L’ANGE
En effet.
LE DIEU
J’en suis très fier. Dites-moi, à quoi pensiez-vous à ce moment-là ?
L’ANGE
À Arthur évidemment.
On voit Arthur et sa famille autour de la table, en train de rire.
L’ANGE (en voix off)
Je pense à lui et à sa famille. Je pense à l’heure qu’il est, et je me dis qu’ils doivent être autour d’un repas de Noël. Je pense au bonheur qu’il doit ressentir. Je pense surtout à ce qu’il ne sait pas : que cette soirée est l’un des derniers instants de joie qu’il va vivre. Qu’il ne lui reste plus que sept jours avant de connaitre l’enfer. Sept jours de grâce avant qu’un Ange veille sur lui.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Sept jours de grâce. C’est comme ça que se nomme la période entre la Cérémonie et la première attaque du sujet. C’est un terme de plus dans le folklore de la société des Anges qui plait tant au Dieu. Sept jours où le sujet vit sa vie tranquillement pendant qu’on s’organise à la détruire.
En premier plan est affiché : JOUR 1 : DIMANCHE 25 DÉCEMBRE
MAXIME (frère d’Arthur) et LIONEL (père d’Arthur) font un puzzle au milieu du salon. Arthur arrive, en caleçon et t-shirt, il a l’air endormi comme s’il venait de se lever. Il tient son portable à la main.
ARTHUR
Vous faites quoi ?
MAXIME
Un puzzle, c’est le nouveau délire de Papa.
LIONEL
C’est très bon pour la concentration. (à Arthur) il y a du café dans la cafetière, il doit être encore chaud.
Arthur va se servir un mug et s’assoit sur le canapé, en face de son frère et son père. Son portable sonne.
ARTHUR
C’est pas possible. Mon patron m’envoie un email même le 25 décembre, c’est un fou.
Il consulte son portable.
ARTHUR
Ah non, c’est juste pour m’informer que le séminaire de rentrée a été avancé de quelques jours. J’ai cru qu’il allait me faire chier même ce dimanche.
MAXIME
Ton boss t’envoie souvent des emails le dimanche ?
ARTHUR
Mais attends, parfois il m’appelle ! Il y a un mois, j’ai même cru qui voulait débarquer chez moi pour qu’on fasse un point sur une présentation qu’on avait la semaine d’après.
MAXIME
L’enfer.
L’Ange est sur son ordinateur. On sonne. Il se lève et ouvre. L’Archange, en costume, est derrière la porte. L’Ange revient à sa place sans rien dire pendant que l’Archange s’installe.
L’ANGE (ironique)
C’est un plaisir de recevoir l’archange en ce jour de Noël.
L’ARCHANGE
Arrête tes conneries, je n’ai pas le temps. Dans une semaine devra avoir lieu la première attaque de ton sujet.
L’ANGE
Je sais et ?
L’ARCHANGE
On doit montrer au Dieu que cette attaque vient de lui.
L’ANGE
Oui et bien ? Comme d’habitude on bricolera un truc pour lui faire croire que c’est lié à son action ?
L’ARCHANGE
On ne bricole pas sur une mission à 43 millions. Tu as dû recevoir les informations sur le Dieu ce matin.
L’ANGE
Oui, en effet. (il cherche sur son ordinateur) On m’a dit qu’il était l’actionnaire majoritaire d’une importante banque européenne, de deux grands groupes de médias néerlandais, d’un complexe hôtelier et qu’il était un important mécène de l’art en France.
L’ARCHANGE
Tu as assez d’éléments avec ça ?
L’ANGE
Non. Mais vu que mon boulot est de trouver de l’information, j’ai pu trouver son nom, la liste de ses holdings, et des articles sur ces dernières apparitions publiques.
L’ARCHANGE
Qu’est-ce que je dois lui dire ?
L’ANGE
Que pour lancer la première attaque, il doit envoyer un message à Claire Perret, la directrice du Mandarian Oriental de Shanghai disant : j’aimerais que les chambres de l’étage 24 aient une touche méditerranéenne. Organisez-vous pour avoir des propositions des plus grandes agences d’architecture d’intérieur de Chine avant mon arrivée le 25 avril.
L’ARCHANGE
OK.
L’Archange se lève et part.
L’ANGE
Et surtout, joyeux Noël !
En premier plan est affiché : JOUR 2 : LUNDI 26 DÉCEMBRE
Arthur, son frère et ses parents attendent sur le seuil d’un appartement, sa mère a des fleurs à la main.
CAROLINE (à ses enfants)
Mettez-y de la bonne volonté, on y reste juste une heure.
MAXIME
Tu vas voir qu’elle va nous demander si le collège, ça se passe bien.
ARTHUR
Et nous offrir 10€ pour notre « argent de poche ».
La porte s’ouvre, une vieille femme (Jeannine) apparait.
JEANNINE
Bonjour mes enfants.
CAROLINE
Bonjour maman.
JEANNINE
Entrez, entrez.
Seuil d’un appartement bourgeois parisien
L’Ange sonne à la porte et attend.
La porte s’ouvre et un homme (RAPHAËL) d’une soixantaine d’années, enjouée, un peu enveloppé apparait.
RAPHAËL
Bonjour mon garçon.
L’ANGE
Bonjour Raphaël.
RAPHAËL
Entre, entre.
Ils entrent dans un bureau, assez bourgeois. Raphaël s’installe derrière son bureau quand L’Ange s’assoit sur la chaise devant. L’Ange lui passe un dossier.
RAPHAËL
Bon j’ai appris que tu avais cassé les records, 43 millions, c’est super.
Il ouvre le dossier et le feuillette.
La famille et la grand-mère sont dans le salon, autour d’une table basse où est posé un service de thé.
JEANNINE
Bon, et toi Maxime, ça se passe bien le collège.
Maxime regarde son père et son frère en esquissant un sourire.
MAXIME
Super Mamie !
JEANNINE
Et toi Arthur, tu es à Bordeaux pendant combien de temps.
ARTHUR
Je repars mercredi.
JEANNINE
Déjà ? Mais tu n’es pas en vacances ?
ARTHUR
Si, mais vu que Maman travaille cette semaine et que Maxime repart à Toulouse…
MAXIME (riant)
Là où se trouve mon collège !
Sa mère lui jette un regard noir.
JEANNINE
Ah, j’allais oublier, voici vos cadeaux.
Elle sort deux enveloppes qu’elle donne à Maxime et Arthur.
JEANNINE
C’est pour votre argent de poche. Il ne faut pas que tout disparaisse d’un coup.
On revient dans le bureau de Raphaël avec l’Ange. Raphaël, toujours le dossier ouvert dans ses mains, lève la tête vers l’Ange.
RAPHAËL
C’est beaucoup d’argent. Il va falloir faire disparaitre tout ça rapidement.
L’ANGE
Dis-moi ce que je dois faire.
RAPHAËL
On va investir dans la création de deux filiales de sociétés-conseils dont nous sommes actionnaires. Ça va permettre de régulariser une partie et de payer des charges de manière légales. On va garder une poche en crypto pour tout ce qui est moins… honnête. Bon sinon, sur chaque dépense que tu m’as listée là, on va utiliser différents mécanismes qu’on va voir en détail, holding à l’étranger, compte tampon, surfacturation (enjoué) on en a pour la journée, mais ça va être amusant.
L’ANGE
Raphaël, je peux te poser une question ?
RAPHAËL
Je t’écoute, mon garçon.
L’ANGE
Tu connais la société des anges mieux que personne. Tu sais ce que nous faisons. Tu es au courant de nos missions.
RAPHAËL
Oui et ?
L’ANGE
Comment peux-tu autant t’amuser ?
RAPHAËL (toujours souriant)
Je ne suis pas vraiment un ange moi. Je suis un Séraphin. Mon rôle c’est les chiffres. Je ne suis pas coupable de ce que vous en faites.
En premier plan est affiché : JOUR 3 : MARDI 27 DÉCEMBRE
Arthur est dans le canapé, son ordinateur sur les genoux.
Sa mère vient s’assoir à ses côtés.
CAROLINE
Qu’est-ce que tu fais ?
ARTHUR
Je regarde les annonces d’appartement.
CAROLINE
Tu ne veux plus habiter avec Antoine ?
ARTHUR
Je ne sais pas. C’est sympa, mais je crois que je commence à en avoir un peu marre. Et puis, je me demande si je ne devrais pas acheter.
CAROLINE
Fais voir les annonces. (elle prend l’ordinateur), Mais c’est tout petit et hyper cher ce que tu regardes.
L’Ange et l’agent immobilier (Matthieu) marchent dans les bureaux vides.
MATTHIEU
1 500m2 de surface, bien orienté. Tout est divisible. Vous serez combien d’employés ?
L’ANGE
Une trentaine.
MATTHIEU
C’est un peu grand, mais le prix est vraiment intéressant. Ici votre bureau, au milieu de l’espace avec une salle de réunion privatif.
L’ANGE
C’est bon pour moi. Je vous le prends.
MATTHIEU
Vous comptez vous installer quand ?
L’ANGE
Aujourd’hui.
En premier plan est affiché : JOUR 4 : MERCREDI 28 DÉCEMBRE
Stéphane est avec des amis, dont Antoine, au comptoir d’un bar.
Arthur arrive, enjoué, et fait la bise à Stéphane.
ARTHUR
Bon anniversaire l’ancien !
STÉPHANE
Oh Arthur ! Je croyais que tu étais à Bordeaux.
ARTHUR
Je sors du train-là.
STÉPHANE
Anne n’est pas là ?
ARTHUR
Non, elle arrive demain matin.
STÉPHANE
Tournée de shot pour le manager.
ARTHUR (en riant)
Je suis trop pas un manager. Tu sais au moins ce que je fais comme boulot?
ANTOINE (à Stéphane)
C’est Loïc qui est manager blaireau.
ARTHUR (faisant un check à Antoine et aux gens autour)
Il n’est pas manager Loïc, il est RH
STÉPHANE (avec les shots à la main)
Ça doit être tellement l’enfer d’être RH.
Les trois amis boivent un shot.
L’Ange est installé dans ses nouveaux bureaux. En arrière-plan, derrière une vitre, on voit des déménageurs installer des bureaux, des poufs, un babyfoot.
Devant lui est installée Leila.
LEILA (à l’ANGE)
C’est bon. On a supprimé les annonces sur les sites des écoles espagnoles. Il ne reste que l’annonce sur LinkedIn.
L’ANGE
Parfait. Elle y va tous les jours, elle verra le post.
MARIUS frappe à la porte et passe la tête.
MARIUS
Je peux vous parler.
L’ANGE
Je t’en prie Marius, entre.
MARIUS s’assoit sur la chaise disponible à côté de LEILA.
MARIUS (en montrant les locaux)
C’est quoi ce bordel ?
L’ANGE
On aménage des locaux. Ça va être une mission importante. On va avoir besoin de gens pour nous aider.
MARIUS
Mais vous croyez que les mercenaires qu’on va embaucher en ont quelque chose à foutre d’avoir des bureaux colorés et un babyfoot pour leurs pauses dej ?
LEILA
Marius, on ne va pas recruter que des gens prêts à se salir les mains.
L’ANGE
Il va falloir embaucher des jeunes parmi des écoles de commerce, d’ingénieur, de data.
MARIUS
Vous vous foutez de ma gueule ?
LEILA
Non, pas du tout. C’est très classique pour les missions de cette taille.
MARIUS
Et comment tu fais pour que des gens issus de ce type d’école acceptent de bosser pour un projet qui détruit la vie d’un mec ?
LEILA
On va commencer par bien les sélectionner. Dans le process de recrutement, on va s’assurer que les candidats n’ont pas de problème à enfreindre un peu la loi. Tiens, voici un exemple de questionnaire qu’on va leur demander de remplir.
MARIUS
Enfreindre la loi c’est une chose les gars, mais travailler contre sa morale c’en est une autre.
L’ANGE
La morale, contrairement à la loi, est une notion floue, et il est très facile de faire évoluer ce concept chez quelqu’un. Ils vont rentrer dans une boite on ne peut plus normale avec des horaires, des collègues, un espace détente. Et comme toutes les sociétés normales, on va tout faire pour qu’il y ait une unité, une uniformité entre les salariés. On va faire du team building.
MARIUS
Du team building ?
LEILA
Oui. Des soirées vont être régulièrement organisées. Comme tu peux le voir nos locaux vont être chaleureux, ils vont avoir à leur disposition des salles de jeux, des canapés et des frigidaires pleins. Pour qu’ils développent des centres d’intérêts communs, on va leur offrir les mêmes services de streaming, des abonnements à la salle de sport, des tickets pour des concerts ou matchs de foot.
L’ANGE
On va tout faire pour qu’ils se sentent bien ici. Ils vont ainsi se conformer à la morale de la société. Comment pourraient-ils remettre en question ce qu’ils font quand la plupart des gens qu’ils verront au quotidien feront la même chose ?
MARIUS
Et ça va suffire pour que personne ne se dise « euh, les gars, vous êtes sûr qu’on n’est pas en train de travailler à ce qu’un gars soit un dépressif complet » ?
LEILA
Non. C’est pour ça qu’on a besoin de toi.
L’ANGE
On va mettre en place un système d’autorité fort basé sur deux piliers : une autorité légitime et une autorité tyrannique. L’autorité légitime ça va être Leila et moi. On va la présenter comme la directrice générale de la boite et moi le président. Ils vont respecter nos ordres, car ils ne nous verront jamais douter. Ils sauront que la mission est constamment sous notre contrôle et que nous sommes au courant de tout ce qui se passe, tant au sein de l’équipe que sur le déroulement de la mission.
MARIUS
Je vous vois venir : l’autorité tyrannique ça sera moi.
LEILA
En effet, tu vas être chargé de mettre la pression sur les employés, de les réprimander violemment à la moindre erreur.
L’ANGE
Comme ça à court terme, il reste obéissant et s’ils se révoltent contre toi c’est qu’on sait que leur morale a pris le dessus par rapport à leur travail.
MARIUS
OK je vois. Mais attends, toi t’es Président, toi t’es directrice générale… mais moi je suis quoi ? Pitbull de la boite ?
LEILA (gênée)
Bah non Marius… tu es…
L’ANGE
Tu es… (regardant Leila) tu es… (trouvant enfin) directeur des ressources humaines.
LEILA
Voilà, tu es DRH, directeur des ressources humaines.
MARIUS (ému)
Je suis directeur des ressources humaines.
L’ANGE
Tout à fait.
MARIUS
Je n’y crois pas. Moi qui aie commencé petit caïd de quartier, me voilà directeur des ressources humaines. Ma mère serait tellement fier de moi.
En premier plan est affiché : JOUR 5 : JEUDI 29 DÉCEMBRE
Antoine, Arthur et Anne déjeunent sur la table du salon.
ANTOINE
J’adore les jours entre Noël et le jour de l’An, où l’on ne fout rien et personne te juge.
ARTHUR
Je suis d’accord.
ANTOINE (se levant)
D’ailleurs, petite bière ?
ANNE
Sans moi.
ANTOINE
Sérieux ?
ANNE
Non, j’ai un entretien cet après-midi.
ARTHUR
Un entretien ?
ANNE
Non, mais laisse tomber, le truc est trop grand pour moi et je n’ai rien préparé.
On voit Marius en gros plan. Il est habillé d’une chemisette et d’une cravate de couleur. Il est tout seul dans la salle.
Il répète sa présentation.
MARIUS
Je m’appelle Marius, je suis directeur des ressources humaines. Je vous écoute.
(se reprenant)
Bonjour, Marius Blas, DRH.
(sur un autre ton)
Marius, directeur des ressources humaines de la société Digit Consulting.
Une employée (CAMILLE) entre.
CAMILLE
Marius, il y a plein de candidats qui attendent dans le couloir
MARIUS
Merci je m’en occupe.
Une succession de candidats passe devant Marius en se présentant.
CANDIDAT 1
Je m’appelle Assa, j’ai été pigiste pendant 3 ans chez différents médias.
CANDIDAT 2
Je m’appelle Élise, j’ai travaillé pendant 2 ans dans un club med où je gérais les emplois du temps de tous le staff.
CANDIDAT 3
Je m’appelle Sarah, je viens de valider ma formation en UX Design. J’étais en alternance dans une boite de conseil qui aidait les entreprises à présenter les données qu’elle récoltait.
CANDIDAT 4
Je m’appelle Mustapha, j’ai un master en sécurité informatique.
Leila et l’ANGE travaillent devant un tableau où des flèches reliant des noms sont inscrits.
Marius arrive et s’assoit.
MARIUS
J’ai passé la journée à faire passer les entretiens, c’est fatigant d’être directeur des ressources humaines. Dis donc tu leur promets de sacrées rémunérations. C’est pour acheter leur moral ?
L’ANGE
C’est plus subtil que ça. Pour de très beaux salaires, nous allons leur demander des tâches précises et exigeantes, dans des domaines où ils sont très qualifiés. Ça va créer en eux un biais cognitif : comment pourraient-ils se dire qu’il y a quelque chose de mal dans un travail où ils seront bons et bien valorisé ?
En premier plan est affiché : JOUR 6 : VENDREDI 30 DÉCEMBRE
Antoine est sur son ordinateur dans le salon, Arthur arrive en caleçon t-shirt. Il est au téléphone.
ARTHUR (au téléphone)
Salut, mon amour, ça va ? (…)Dis-moi, pour la soirée de Loïc demain, on a une idée de costume avec Antoine (…) Non je te dis pas, il faut que tu nous fasses confiance (…) On va acheter de quoi le fabriquer ce matin (…) Bah bien sûr qu’on le fabrique. (…) Haha tu peux essayer de deviner (…) Tu nous retrouves à l’appartement en fin d’aprèm ? (…) OK parfait, à ce soir. (il raccroche)
(à Antoine) Elle est chaude.
ANTOINE
Parfait, ça va être la folie.
Leila et Marius sont dans la salle. Marius attend en regardant sa cravate pendant que Leila pianote sur son ordinateur. Un écran est installé au mur.
Nathan rentre dans la salle.
NATHAN
Dis donc c’est sympa chez vous. (à Marius) Oh, Marius, t’es chicos.
MARIUS
Merci, c’est parce que je suis direct…
LEILA (le coupant)
Salut Nathan, merci d’être venu si vite.
NATHAN
Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
LEILA
Le sujet et ses amis vont passer le réveillon dans la coloc de leur ami Loïc au 26 boulevard Beaumarchais dans le 11e. Voici le message Whatsapp qu’ils ont envoyé à tout le monde.
Elle clique sur son ordinateur et un message Whatsapp apparait sur l’écran.
LEILA
On vient de couper internet dans l’appartement où la fête a lieu. Tu vas te faire passer pour un technicien et installer des caméras et des micros.
NATHAN
L’appartement fait combien de mètres carrés ?
LEILA
90m2. Il faudrait au moins une caméra dans le salon et une dans la cuisine.
NATHAN
Pas de problème.
LEILA
Ils viennent d’appeler leur fournisseur internet, on a repris la ligne, tu es attendu cet après-midi.
NATHAN
Ça marche. (regardant le message Whatsapp) Ah, mais c’est une soirée déguisée. J’adore les soirées déguisées. « L’ESPACE ». Cool le thème. (à Marius) Tu penses que le sujet va se déguiser comment ?
MARIUS
Je n’en sais rien.
NATHAN
On fait un petit pari ? Moi je dis en cosmonaute.
MARIUS
Pari tenu. Combien ?
NATHAN
100 balles ?
MARIUS
Je pense qu’il va être en fusée avec sa copine et son coloc. Genre ils auront chacun un bout de fusée et quand ils seront à côté ça fera une grande fusée.
NATHAN
N’importe quoi ! Prépare ton argent l’artiste. Allez, on se tient au courant.
Nathan quitte la pièce.
LEILA (à Marius)
Tu es vraiment un voleur.
MARIUS
Comment ça ?
LEILA
Parce que ça fait 3jours qu’Antoine et Arthur parlent de leur déguisement (elle clique sur son ordinateur et des bouts de conversations Whatsapp apparaissent) qu’hier soir ils ont regardé en boucle ce tuto (elle clique sur son ordinateur et une vidéo YouTube « DO IT YOURSELF : Déguisement de fusée collectif ») et qu’ils sont actuellement là (elle clique sur son ordinateur et une carte s’affiche avec deux points, au coin de l’écran apparait la devanture d’un magasin) qui est un magasin d’arts plastiques où ils vont acheter de quoi fabriquer leur fusée.
MARIUS
Oui, OK j’avais peut être deux trois infos que Nathan n’avait pas.
Camille entre dans la salle et s’adresse à Leila.
CAMILLE
L’email est arrivé.
LEILA
Ah cool. Bloque-le.
Camille sort et Leila la suit.
En premier plan est affiché : JOUR 7 : SAMEDI 31 DÉCEMBRE
Stéphane, Antoine, Arthur et Anne dinent joyeusement.
Sur l’écran de la salle, on voit Stéphane, Antoine, Arthur et Anne diner.
Leila, Camille et Marius sont dans la salle. Camille et Leila sont sur leurs ordinateurs.
L’ANGE entre.
L’ANGE
Tout est prêt ?
LEILA
Oui. Ils sont encore chez Arthur et Antoine. Ils ne vont pas tarder à partir.
L’ANGE
Vous pouvez me montrer les visuelles qu’on aura.
Leila clique sur son ordinateur et sur l’écran apparait cadre où on voit un salon où LOÏC et ses amis boivent des bières et un autre avec une vue sur la cuisine.
CAMILLE
On a comme convenu un visu sur le salon et un sur la cuisine, plus tous les téléphones qu’on a piratés.
L’ANGE
Combien on en a ?
CAMILLE
Toute leur bande d’amis sera là, donc au moins une quinzaine. Ça fait beaucoup de données, mais grâce au taf de Sarah on a réussi à présenter un truc pas trop mal pour la tablette du Dieu.
L’ANGE
Fais voir ?
Leila clique sur son ordinateur et sur l’écran apparait un rectangle où plusieurs vidéos en direct défilent.
CAMILLE
S’il clique là, il peut choisir la caméra principale qu’il veut et là, il a accès à toutes les caméras des téléphones, il clique là pour passer de l’un à l’autre. Sachant qu’à chaque fois, au-dessus, on a indiqué le propriétaire du téléphone et où il se trouve dans l’appartement.
L’ANGE
Parfait. Pas de problème pour la diffusion au Dieu ?
CAMILLE
Non, il a déjà accès à tout ça.
L’ANGE
OK, il n’y a plus qu’à attendre.
La musique Sonate Pacifique de l’Impératrice commence.
Les quatre amis trinquent. Ils prennent leurs costumes et sortent de l’appartement.
Ils sont dans le métro, Stéphane et Arthur boivent une bière en bouteille pendant qu'Antoine avec le déguisement de bout de fusée fait comme s’il volait. Anne rigole.
La porte s’ouvre et les quatre amis arrivent dans la fête qui est déjà lancée. Tout le monde est déguisé, l’appartement est décoré.
La caméra est focalisée sur Arthur qui rit, danse, boit des shooters, embrasse Anne.
On voit tout le monde faire le décompte de la nouvelle année.
La fête continue de manière très joyeuse.
Au bout d’un temps, Anne et Arthur mettent leur manteau. Ils embrassent quelques amis.
Dans les rues de Paris, Arthur et Anne s’embrassent, courent l’un après l’autre. Ils paraissent très heureux. Anne fatigue un peu un moment. Arthur tend le bras pour arrêter un taxi. Une voiture s’arrête, ils montent.
La musique s’arrête.
Ils sont tous les deux à l’arrière. On ne voit pas tout de suite le chauffeur.
ANNE
Bonjour, Monsieur, 20 rue Violet s’il vous plait.
ARTHUR
C’était une bête de soirée.
ANNE
Grave. (au chauffeur) Monsieur, je peux brancher mon téléphone ?
On voit dans le rétro que le chauffeur est l’Ange.
L’ANGE
Oui, vous avez une prise juste ici.
ANNE
Merci.
Anne branche son téléphone et l’allume.
ARTHUR
Ils ont un appartement de malade. Et Alexis, le frère de Loïc il est super marrant.
On entend le portable d’Anne sonner (bruit d’un message)
Après un temps.
ANNE (enjouée)
C’est pas vrai !
ARTHUR
Qu’est-ce qui se passe ?
ANNE
J’ai reçu un email d’une des agences auxquelles j’ai postulé.
ARTHUR
Ah cool.
ANNE
Tiens, lis.
Arthur prend le téléphone et lit rapidement.
ARTHUR (surpris)
Attends, c’est un stage à Shanghai ?
ANNE
Oui, c’est la folie non ? Je suis tellement contente !
ARTHUR
Je ne savais pas que tu avais postulé en Chine...
ANNE
Je ne te l’avais pas dit, car je n’y croyais pas. J’ai eu une chance incroyable, l’offre est apparue cette semaine sur mon LinkedIn, j’ai envoyé un email. Ils m’ont proposé un entretien dans la foulée en me disant qu’ils étaient pressés sur le process, mais je ne pensais pas que ça allait être aussi rapide.
ARTHUR
Ils n’ont pas l’air très sérieux, en tout cas.
ANNE
Tu rigoles ? C’est l’une des agences d’architecture les plus innovantes de Shanghai.
ARTHUR
Tu comptes vraiment y aller ?
ANNE
Évidemment ! Il est quelle heure ? Il est un peu trop tôt pour appeler ma mère.
ARTHUR (un peu agressif)
Tu aurais pu m’en parler avant.
ANNE
Je suis désolée, je ne l’ai pas fait par superstition, je t’avoue.
Un long silence, Arthur tourne sa tête vers l’extérieur.
ANNE
Bon, dis-moi ce qui ne va pas.
ARTHUR (énervé)
Tu pars pour je ne sais combien de temps à l’autre bout du monde, mais t’inquiètes, tout va bien.
ANNE
Tu pourrais me féliciter avant de penser à toi !
ARTHUR
Désolé d’être triste que tu partes.
ANNE
Je ne vois pas trop ce que ça va changer.
ARTHUR
Qu’est-ce que tu veux dire ?
ANNE
Avec ton boulot de l’enfer, on ne se voit jamais de toute façon.
ARTHUR
On en a déjà parlé et je t’ai déjà dit que ça allait s’arranger.
ANNE
Ça fait six mois que tu me dis ça.
ARTHUR
J’ai un taf qui prend du temps, c’est comme ça.
ANNE
Eh bien moi, j’ai un taf qui me demande de partir en Chine, c’est comme ça !
ARTHUR
Bon vu que ton départ n’a pas l’air de t’émouvoir plus que ça, je pense que je peux moi aussi partir l’esprit léger. Vous pouvez vous arrêter là, Monsieur, s’il vous plait.
La voiture s’arrête, Arthur sort en claquant la porte.
ANNE
Arthur, arrête…
ARTHUR n’est plus visible depuis la fenêtre de la porte et le véhicule démarre.
On voit Arthur seul dans la rue, l’air triste.
Anne pleure dans le taxi. La voiture continue de rouler.
Puis elle s’arrête, Anne paye.
ANNE
Merci monsieur.
L’ANGE
Bonne soirée mademoiselle.
ANNE sort, la voiture redémarre. L’Ange prend son téléphone.
L’ANGE
C’est bon. La première attaque a touché sa cible. Bravo à tous.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Lorsque j’ai commencé ce travail, il y a une vingtaine d’années, j’assistais Xavier Bequert – un Ange aujourd’hui à la retraite – dans ses missions. Il était ce qu’on appelle mon Malakh : une sorte de mentor qui vous choisit pour prendre sa place en tant qu’Ange dans la Société.
« Une personne seule tombe plus facilement. Commence par isoler ton Sujet et le reste suivra. » Voici la première chose que m’a apprise Xavier et j’ai toujours appliqué cette méthode pour mes missions. Et à chaque fois, dès la première attaque.
On revient dans le salon du Dieu.
LE DIEU
Ah la première attaque… magistrale. J’envoie un message à une de mes employés et quelques jours après le sujet se retrouve célibataire. Merveilleux. Magique même.
L’ANGE (ironique)
Vous avez vu l’étendue de votre pouvoir.
LE DIEU
Allez, dites-moi, comment avez-vous fait ?
L’ANGE
Disons que vous avez fait tomber le premier domino et que nous avons aidé à ce que les autres tombent dans le bon sens.
Cette scène et les prochaines s’enchainent très vite.
On revoit la scène précédente.
L’ARCHANGE
Qu’est-ce que je dois lui dire ?
L’ANGE
Que pour lancer la première attaque, il doit envoyer un message à Claire Perret, la directrice du Mandarian Oriental de Shanghai disant : j’aimerais que les chambres de l’étage 24 aient une touche méditerranéenne. Organisez-vous pour avoir des propositions des plus grandes agences d’architecture d’intérieur de Chine avant mon arrivée le 25 avril.
On voit le Dieu en contrejour de dos, il est au téléphone.
On peut voir qu’il tient un carton dans sa main. Il le lit en parlant.
LE DIEU
Oui dites voir Madame Sanders, pouvez-vous envoyer un email à Madame Perret, oui du Mandarian Oriental, vous notez ? Vous lui dites que je veux que chambres de l’étage 24 aient une touche méditerranéenne et qu’elle s’organise pour avoir des propositions des plus grandes agences d’architecture d’intérieur de Chine avant mon arrivée le 25 avril.
(après un temps)
Non non, pas la peine de me prendre un billet d’avion pour cette date, envoyer juste le message merci.
Claire Perret est dans son bureau. On voit le logo du Mandadorian Oriental sur le mur derrière elle. Son assistante (MELEK)est sur une chaise devant elle et note sur son carnet.
CLAIRE PERRET
Melek, can you put out a call for tenders to the best architectural firms in town to redesign the rooms on floor 24?
MELEK
What is the brief ?
CLAIRE PERRET
The rooms must have a Mediterranean touch
MELEK
That’s all ?
CLAIRE PERRET
Yes. We have to receive the proposal before the end of march.
Bureau dans une ambiance décontracté. Logo Lanku Inside Design sur les murs.
Esteban, short et t-shirt, Espagnole avec un fort accent est derrière son ordinateur. Devant lui, sa collègue/employée JIAO DIU est aussi devant son ordi.
ESTEBAN
Come on. We have to do it. It can be huge if we win this call for tender.
JIAO DIU
Ok but we will need one intern.
ESTEBAN
Yeah. Post a job offer on Linkedin and send it also to the main Spanish school.
JIAO DIU
Only the Spanish ones ? Are you that patriot ?
On revoit la scène qu’on a vue précédemment.
L’Ange est installé dans ses nouveaux bureaux. En arrière-plan, derrière une vitre, on voit des déménageurs installer des bureaux, des poufs, un babyfoot.
Devant lui est installée Leila.
LEILA (à l’ANGE)
C’est bon. On a supprimé les annonces sur les sites des écoles espagnols. Il ne reste que l’annonce sur LinkedIn.
L’ANGE
Parfait. Elle y va tous les jours, elle verra le post.
Anne est dans sa chambre, elle écrit un email. Elle parait contente. Elle parle à voix haute.
ANNE
And that’s why I will be glad to join your team for the next six month.
LEILA est derrière son ordinateur, l’écran de son ordinateur est diffusé sur le grand d’écran de la salle de réunion. L’Ange lui donne les instructions.
L’ANGE
Elle a écrit son email d’intro n’importe comment. Supprime-le et l’on va en renvoyer un depuis sa boite mail. Fais voir les autres CV qu’ils ont reçus. Ah oui tout de même. Regarde-les et enlève les meilleurs. Tu supprimes aussi tous les candidats espagnols.
JIAO DIU et ESTEBAN sont derrière leurs bureaux, ils se passent les CV.
ESTEBAN
Seriously. That’s the only CV that we received.
JIAO DIU
I told you. It’s holiday in Europe.
ESTEBAN
Not even one Spanish !
JIAO DIU
You may have the best school of architecture, but you are the laziest country in the world !
ESTEBAN
Oh, this girl looks good.
On voit ANNE et Esteban en échange zoom.
ANNE
I did an exchange of 6 months at the Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Madrid.
ESTEBAN
Great.
ANNE
And I just finish my master with a memoir on the influence of the Mediterranean sea in the luxury hostel of France.
ESTEBAN
Even better.
Camille entre dans la salle et s’adresse à Leila.
CAMILLE
L’email est arrivé.
LEILA
Ah cool. Bloque-le.
Camille sort et Leila la suit.
On voit l’Ange dans son taxi. Il est en haut-parleur.
L’ANGE
C’est bon, je les vois.
LEILA (au téléphone)
OK, on a débloqué l’email de ses spams. Elle le recevra dès qu’elle aura rallumé son portable.
L’ANGE
OK. (après un temps) Ah, ils semblent chercher un taxi. (il fait quelques mètres avec son véhicule). OK ils vont monter dans mon taxi. On se rappelle.
Anne et Arthur montent dans son taxi.
ANNE
Bonjour, Monsieur, 20 rue Violet s’il vous plait.
On voit la scène du taxi qu’on a déjà vu en accéléré.
On retrouve Arthur seul dans la rue.
Fin des plans accélérés.
Dans une salle fermée avec plusieurs écrans sur le mur et deux autres employés en open space, on voit Camille, derrière son bureau.
Elle travaille.
Elle regarde sa montre.
CAMILLE
Ah déjà.
Elle se lève, prend son ordinateur, un carnet, un stylo dans une main, et une tasse de café dans l’autre, sort de la salle et la ferme.
Elle traverse tout l’open-space pour aller jusqu’à la salle de réunion. Elle entre.
L’Ange est debout. Dans la salle se trouvent LEILA et MARIUS, assis autour de la longue table.
Camille s’assoit à côté de MARIUS.
L’ANGE
Bon, la première attaque s’est bien passée, je vous félicite. Très bon début de mission. Maintenant, il faut maintenir la pression, les prochains jours seront clefs. On en est où côté Arthur ?
LEILA
Alors, après qu’il soit sorti de ton taxi, on a mis à plat son téléphone. Il est rentré à pied chez lui. Il s’est endormi direct. Il s’est réveillé vers midi avec un horrible mal de crâne. Son coloc, Antoine, n’était pas là.
L’ANGE
Il était où ?
MARIUS
Ils sont partis avec Stéphane à une autre soirée vers 4h du matin. On avait prévu le coup. Ils ont pris un peu de drogue, mais rien de méchant. Antoine a chopé une fille et a dormi chez elle.
L’ANGE
On sait qui c’est ?
MARIUS
Oui, Amiya Ladon, c’est une amie d’école de Stéphane. On l’avait mis sous surveillance, car ça fait longtemps qu’il en parle à Antoine. Disons qu’on a été plus efficace que Stéphane pour les faire rencontrer.
L’ANGE
OK. Leila, tu peux reprendre.
LEILA
Donc Arthur s’est retrouvé seul chez lui. On a bloqué son wifi et son portable. Il était trop fatigué pour trouver un moyen de contacter Anne et le lendemain comme prévu, il est parti à son séminaire à Courchevel.
MARIUS
Ah oui, vous avez réussi à le faire avancer finalement ?
LEILA
Oui, Camille a réussi à pirater la boite de mail du juge qui s’occupe du divorce de l’associé pour changer au dernier moment la date. L’associé a donc fait décaler le séminaire il y a 8 jours pour que les dates lui conviennent.
MARIUS
Bien joué Camille !
CAMILLE (reprenant)
Et là, depuis qu’Arthur est à Courchevel avec son entreprise, on joue avec le réseau de son téléphone. Les appels qu’il essaye de passer avec Anne sont catastrophiques, ils n’ont pas pu se parler plus de 20 secondes d’affiler depuis deux jours et tous les messages qu’ils se sont envoyés n’ont pas été reçus. Par exemple, il n’a pas reçu ce matin celui où Anne lui informe de la date de son départ.
L’ANGE
J’ai vu qu’elle avait pris ses billets et qu’elle part vendredi après-midi.
CAMILLE
Oui. Le cabinet d’architecte était pressé. Notre difficulté a été pour le visa, mais finalement Marius a réussi à accélérer le process.
MARIUS
Tout le monde est corruptible. Même les ambassades.
L’ANGE
Il rentre quand de son séminaire ?
LEILA
Jeudi en milieu d’après-midi.
L’ANGE
Marius, trouve un moyen que son train ait du retard et qu’il arrive jeudi en fin de soirée. Merci à tous.
Leila et Camille prennent leurs affaires et sortent. Marius reste assis.
MARIUS
Tu crois que nous aussi on devrait organiser un séminaire pour nos employés ?
L’ANGE
Marius, je sais que tu prends très à cœur ton rôle de directeur des ressources humaines, mais tu n’es pas happyness officer. Tu es censé représenter l’autorité tyrannique rappelle toi.
MARIUS
Ouais, mais je tourne un peu en rond dans mon rôle.
L’ANGE
Ce que tu vas faire, c’est que tu vas isoler chaque employé de leurs amis. Ce qu’on fait pour notre sujet, tu vas le faire pour chacune des personnes travaillant ici. Je veux que dans quelques semaines, ils ne voient que leurs collègues en dehors du bureau.
MARIUS
Toujours dans l’idée qu’ils ne remettent pas en question ce qu’ils font.
L’ANGE
Tout à fait. Je veux qu'ils passent leur temps avec des gens qui ont le même travail immoral qu'eux afin qu'ils aient le moins de recul possible.
MARIUS
Je vais avoir besoin de plus de personnel pour ça.
L’ANGE
Pourquoi ? Tu as déjà tous les employés qu’il faut.
MARIUS
Tu veux qu’ils travaillent aussi sur eux-mêmes ?
L’ANGE
Ils ne vont se rendre compte de rien.
Arthur est en costume dans sa cuisine, il se fait couler un café. Antoine rentre, en caleçon t-shirt.
ANTOINE
Ah mec, t’es revenu
ARTHUR
Ouais, hier soir tard.
ANTOINE
C’était cool ? La neige était bonne ?
ARTHUR
Ouais c’était pas mal.
ANTOINE
Tu vas accompagner Anne à l’aéroport ?
ARTHUR
Comment ça ?
ANTOINE
Bah, Sophie m’a dit qu’elle partait ce matin, non ?.
ARTHUR va rapidement dans sa chambre et prend son téléphone.
ARTHUR (au téléphone)
Allo ?
Pendant le dialogue, on voit Anne au téléphone, faire sa valise.
ANNE
Je t’écoute.
ARTHUR
Tu pars aujourd’hui ?
ANNE
Oui. Je te l’ai dit.
ARTHUR
Tu ne me l’as jamais dit.
ANNE
Je t’ai envoyé un message dès que j’ai su la date.
ARTHUR
Je n’ai jamais rien reçu.
ANNE (énervé)
Tu étais peut être trop occupé à être à la Folie Douce avec tes collègues ou tu as juste oublié, car tu n’en as rien à foutre.
Elle raccroche.
Arthur la rappelle
ARTHUR
Écoute… pardon. Tu pars à quelle heure ?
ANNE
Mon père m’amène à l’aéroport dans 3heures. On peut se prendre un café si tu veux.
Le portable d’Arthur vibre. Il reçoit un appel.
ARTHUR
Attends, ne quitte pas, mon boss m’appelle.
ANNE
Tu te fous de ma gueule ?
ARTHUR
Non, mais c’est…
ANNE
Au revoir Arthur.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
C’est en fait assez facile de briser le lien qui unit deux êtres. Ce qui est plus dur c’est d’isoler complètement une personne d’un groupe. Ça demande de l’organisation. Le plus simple est de partir d’un conflit, de l’étirer, le façonner, le délimiter autour du Sujet.
On voit la scène depuis la webcam d’Antoine. Il est dans le salon en premier plan comme s’il était sur son ordinateur avant de parler avec Arthur.
On voit Arthur au second plan, agité.
ANTOINE
Et tu as essayé de la rappeler depuis qu’elle est arrivée ?
ARTHUR
Elle ne répond pas à mes appels, je ne sais même pas si elle a bien atterri. C’est l’enfer mec. Elle m’en veut alors qu’elle est partie en moins d’une semaine à l’autre bout du monde, sans qu’on ait le temps d’en parler.
ANTOINE
Pourquoi tu ne prendrais pas une semaine de vacances pour aller la voir ?
ARTHUR
J’y ai pensé. Mais déjà les billets sont hyper chers et j’ai masse de boulot ce mois-ci.
ANTOINE
Je pensais que ça devait se calmer à ton taf.
ARTHUR
Moi aussi je croyais. Mais mon boss m’a dit qu’il allait rapporter plein de dossiers sur les prochaines semaines, je ne sais pas comment ça se fait.
Dans la salle de réunion, on voit sur l’écran la fin de la scène qu’on vient de voir.
L’Ange est debout devant l’écran. LEILA, MARIUS et CAMILLE sont assis autour de la table de réunion.
L’ANGE
Donc voici le premier point de vue du conflit. Et voilà le second.
Il tape sur son ordinateur et un facetime entre ANNE et SOPHIE apparait. Il lance la vidéo.
ANNE
Meuf, je suis décalée, j’ai dormi tout le trajet, maintenant je suis en forme alors qu’on est au milieu de la nuit.
SOPHIE
Et t’es où là ? Dans un hôtel ?
ANNE
Non, une auberge cool dans le centre.
L’ANGE fait glisser sa souris.
L’ANGE
Je vous passe la visite de l’auberge, on va aller directement au moment qui nous intéresse.
Il fait avancer la vidéo en mode rapide pendant quelques secondes puis la vidéo revient en mode normal.
SOPHIE
Et Arthur ?
ANNE
Un connard.
SOPHIE
Ah carrément !
ANNE
Pas une seule fois il m’a félicité. Le mec n’a pensé qu’à sa gueule.
SOPHIE
Il a mal réagi, car il était triste que tu partes.
ANNE
Moi aussi j’étais triste. Mais il n’en avait rien à foutre. Quand c’est son boulot je dois accepter de ne pas le voir pendant 10 jours, quand c’est le mien, il s’en fout et il pense qu’à ce qui l’emmerde.
L’ANGE met la vidéo en pause.
L’ANGE
On a donc les deux points de vue du conflit. On va faire en sorte que celui qu’on vient d’entendre se diffuse dans leur groupe d’amis. À partir de l’historique de tous leurs échanges de ces dernières années, nos analystes ont établi cette carte…
Sur l’écran apparait une carte avec une photo de chaque membre du groupe d’amis d’Arthur avec des liens plus ou moins gros et avec un code couleur reliant chaque photo.
L’ANGE
Ça nous montre en quelques sortes les liens d’amitié entre eux ou pour être plus exacte l’influence de chacun. Par exemple (en pointant la carte) Sophie, ici, est très influente sur la plupart des filles du groupe, particulièrement Valentine et Hortense. Un peu moins sur Manon. Manon est influente sur Loïc qu’on voit ici puisque les deux sont en couple. Et ainsi de suite. On voit ici qu’Antoine est assez leader dans le groupe. Il faut donc le rendre indisponible pendant les 10 prochains jours pour pas qu’il diffuse le point de vue d’Arthur.
CAMILLE
Ça va être assez facile. Il est kiné en profession libérale, son emploi du temps dépend des réservations de son cabinet. On va lui trouver des patients tous les soirs.
MARIUS
J’ai une question : Sophie et Arthur sont assez proches non ? Il n’a jamais cherché à parler avec elle de la situation avec Anne.
LEILA
Si. Et même Sophie a cherché à le joindre. Mais on a bloqué tous les appels et les messages entre eux.
L’ANGE
Ils ont tous rendez-vous chez Sophie jeudi soir pour un « apéro galette » comme ils l’ont appelé. Vous faites en sorte que seules Valentine et Hortense arrivent à l’heure chez elle, tous les autres doivent avoir une heure et demie de retard. Toutes les trois, elles vont automatiquement parler d’Anna et Arthur. Ce week-end, tous les mecs vont se retrouver pour le match, je veux qu’uniquement Loïc et Stéphane se retrouvent. On continue ainsi jusqu’à ce que tout le monde soit convaincu qu’Arthur a été un « connard » avec Anne pour reprendre son expression.
MARIUS
Et Antoine ?
L’ANGE
Quand ils auront tous ce point de vue, il s’y conformera aussi.
MANON est dans son appartement, son évier fuit. Elle fait un message vocal avec son téléphone.
MANON
Ouais les meufs, c’est Manon. C’est une galère, mon évier fuit, il y a de l’eau partout, je viens d’appeler un plombier, je ne serai pas si je viens ce soir.
Sophie, Hortense, et Valentine boivent un verre autour de la table de la cuisine.
SOPHIE
Là-dessus, il a grave déconné Arthur. Le mec il a pensé qu’à lui.
On voit LOÏC au téléphone dans la rue.
LOÏC
Oui Manon, c’est moi. Je suis désolé, je ne sais pas ce qui s’est passé, mon téléphone a bugué il affichait une heure plutôt. Ouais trop chelou. Bref, je suis désolé mon amour, je pars de chez moi j’arrive au cinéma dans 30 minutes.
Hortense, Valentine et Manon font la queue pour le cinéma.
HORTENSE
Il parait qu’Anne est en pleurs tous les soirs et qu’il ne l’a toujours pas appelée.
Loïc et Manon marchent dans la rue, la nuit.
MANON
Non, mais il est devenu hyper carriériste avoue. Il a complètement changé ton pote.
LOÏC
« mon » pote ? C’est aussi le tien.
MANON
Ouais, enfin, on n’a jamais été très proche. Encore moins depuis qu’il travaille en finance.
On voit Antoine dans une rame de métro. Le métro se bloque et un message du conducteur indique qu’ils seront bloqué dû à un passager sur la voix.
Stéphane et Loïc sont devant un match de foot, bière à la main.
LOÏC
Si si c’est mon pote. C’est juste qu’il est un peu tourné connard. Faut bien l’avouer.
Toute la bande est autour d’un diner (Antoine, Stéphane, Loïc, Manon, Sophie, Valentine, Hortense).
Antoine est au milieu de tous.
ANTOINE
Ouais, vous avez peut-être raison. Il a changé depuis quelques mois. Il préfère son boulot à sa meuf.
STÉPHANE
Mais même à nous. Il pourrait être avec nous en train de kiffer un diner entre potes… au lieu de ça il est où ?
On voit Arthur seul à son bureau, dans un open-space vide. Il pleure.
On voit Marius et Nathan dans la cabine d’un camion. Nathan est au volant. Le camion est arrêté.
Ils attendent.
Après un temps.
NATHAN
Marius ?
MARIUS
Oui ?
NATHAN
Je sais que tu n’aimes pas que je te pose des questions, mais est-ce qu’on peut dire que, sur cette mission, tu es monté en grade ?
MARIUS (fier)
Oui, on peut dire ça.
NATHAN
Donc, tu as une vision un peu globale de la mission ?
MARIUS
Oui, en quelques sortes.
NATHAN
Donc par exemple, tout ce qu’on doit faire ce soir, ça ne te parait pas absurde. Je veux dire, tu comprends pourquoi on doit le faire.
MARIUS
Bien sûr.
NATHAN
Ça me rassure, car moi je suis un peu perdu.
MARIUS
Ah ouais ?
NATHAN
Bah, si je résume, et tu m’arrêtes si je me trompe : on est un 15 février en plein milieu du cap ferret alors que le sujet de la mission est à 300km de là, chez ses grands-parents.
MARIUS
Correct.
NATHAN
On est au creux de la saison, donc on a à peine croisé une voiture depuis le début de la journée. Là, on vient de déposer sur le parking d’un bar où il y a seulement trois poivrots qui boivent des gintonics, Lucie qui a fait 5 ans d’étude…
MARIUS (le corrigeant)
7 ans.
NATHAN
… 7 ans d’étude en musicologie appliquée
MARIUS
Correct.
NATHAN
Et on attend un appel du patron pour aller déposer, par effraction, dans le jardin d’une maison qui est à 500 mètres d’ici, deux chevreuils qui sont dans le coffre.
MARIUS
Correct.
NATHAN
Et toi, tu comprends pourquoi on nous demande ça ?
MARIUS (gêné)
Bah oui… pour créer un groupe.
NATHAN
Créer un groupe ?
MARIUS
Oui… Enfin c’est comme ça que le patron me l’a expliqué.
NATHAN
Et ça te convient comme explication ?
Son téléphone vibre, il s’interrompt et décroche.
MARIUS (au téléphone)
Oui… Oui tout à fait… OK, on y va… là ?... OK pas de problème, on s’en occupe. Oui, oui, on reste discret.
Il raccroche.
MARIUS (à Nathan)
C’est le patron. Il a dit qu’on pouvait y aller.
NATHAN (démarrant le camion)
Il a dit quelque chose de particulier ?
MARIUS
Qu’une fois dans le jardin, il faudra qu’on remette la housse du barbecue…
Nathan regarde Marius interloqué. Marius est perdu.
MARIUS
Tu as raison, je n’aime pas quand tu poses des questions.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Aucun de mes employés n’a une image complète de la mission. Celui qui va collecter les données ne doit pas être le même que celui qui les traitent qui ne va pas être la même qui les met en forme. La personne qui va s’occuper de l’emploi du temps du sujet, ne va pas être la même que celle qui va imaginer des actions pour le bloquer aux heures indiquées qui ne va pas être la même que celle qui les met en œuvre. Si les employés sont focalisés sur une tâche, ils ne vont pas se dire qu’ils font quelque chose de mal. En faisant ça, on divise leur responsabilité et donc leur culpabilité. Et ceci est vrai aussi pour mon équipe rapprochée. Eux savent la finalité de la mission, mais ils ne la contrôlent pas. Ils n’en sont pas le chef d’orchestre. Ils sont perdus dans le mouvement de la mission et sans se l’avouer, ils acceptent de l’être. Ça leur enlève un poids.
Lucie fume une cigarette devant le bar. Elle se retourne et voit le camion de Nathan et Marius partir, elle rentre dans le bar.
Lucie est au comptoir avec un verre de blanc. Au bout du comptoir, deux hommes plutôt âgés et le barman discutent.
La salle du bar est assez grande, mais complètement vide. Au bout de la salle se trouvent des platines de DJ.
Lucie se rapproche du barman (JEAN YVES).
LUCIE
Je vous prie de m’excuser, c’est une platine Pionner Rev7 au fond de la salle.
JEAN YVES
Oui, c’est à mon fils.
LUCIE
Ah super. Voilà je vous explique. Je suis au cap ferret pour être DJ d’un mariage demain. Je vais mixer sur une machine similaire, mais ça fait des années que je n’ai pas eu ce modèle entre les doigts. Ça vous dérange si je m’entraine un peu.
JEAN YVES
Ah, je ne sais pas. Mon fils n’est pas là, je ne suis pas très à l’aise.
LUCIE
Je paye ma tournée générale.
JEAN YVES
Ça ne va pas vous couter cher, vous êtes que trois clients ce soir.
LUCIE (tournant sa tête vers la sortie)
Non regardez, il y a 10 personnes qui arrivent. Je leur offre tous un verre. Ça vous fera des clients contents.
JEAN YVES
Vous êtes marrante vous. Allez, je vous laisse faire joujou avec la machine. Faites attention par contre.
Jean-Yves va vers le groupe qui est arrivé.
Il s’agit des amis d’Arthur et quelques autres : Antoine, Amiya, Stéphane, Sophie, Loïc, Valentine, Hortense, Manon, Eliot et Aura.
JEAN-YVES
Bonjour jeunes gens. C’est votre jour de chance, la jeune femme là-bas derrière les platines vous offre à boire.
STÉPHANE
En quel honneur ?
JEAN YVES
Un arrangement que nous avons.
ANTOINE
Et bien on boira à sa santé, comment elle s’appelle ?
JEAN-YVES
Je ne sais même pas. (se tournant vers Lucie) Dis donc la DJ, comment votre public doit vous appeler ?
LUCIE
Bambie Girl !
En disant ces mots, elle lance la musique
On voit à partir du lancement de la musique, toutes les photos que le groupe d’amis a prises.
Dans une salle de réunion, on voit l’Ange, Leila et Camille.
Sur l’écran de la salle, on voit les photos de la soirée du groupe d’amis.
L’ANGE
Ils ont partagé ces photos quelque part ?
LEILA
Oui, Sophie les a envoyés sur le groupe Whatsapp qu’ils ont fait spécialement pour l’organisation de leur week-end. Dedans il y a tous les membres de la bande bordelaise d’Arthur sauf Arthur évidemment. En plus, il y a la copine d’Antoine, et Aura et Eliot deux amis de Stéphane.
L’ANGE
Donc Arthur n’a rien vu pour l’instant ?
LEILA
Non.
L’ANGE
OK, je ne veux pas qu’une seule de ces photos atterrisse dans le groupe Whatsapp où se trouve Arthur.
CAMILLE
J’ai déjà donné à Astrid les instructions dans ce sens.
L’ANGE
Et dans les prochains jours, si quelqu’un propose un verre ou un diner, il faut que ce soit fait sur le nouveau groupe, sans Arthur. Vous redirigez le message. La personne pensera qu’elle s’est trompée.
CAMILLE
OK.
L’ANGE
Comment ça a matché entre le groupe et les deux nouveaux, Aura et Eliot.
LEILA
Très bien. Antoine et Eliot ont découvert qu’ils avaient la même passion pour la MMA et Sophie et Aura ne se sont pas quittés du week-end.
L’ANGE
Parfait. Bon, vous faites en sorte qu’ils continuent de se voir. Autre chose ?
CAMILLE
Avec l’épisode des chevreuils dans le jardin et le nom de DJ de Lucie, tout ce groupe d’amis s’est surnommé la bambiteam. On a créé une fausse page Instagram pour Lucie sous le nom de Bambie Girl et Sophie a déjà envoyé un message. Elle lui a demandé si elle avait des dates prévues à Paris…
L’ANGE
OK, vous organisez un petit concert dans 10 jours. Vous faites en sorte que tous ceux du week-end soient disponibles et évidemment, comme toujours vous mettez Arthur en dehors de ça.
Stéphane est au téléphone. Derrière lui, se trouvent toujours les deux chevreuils.
STÉPHANE (au téléphone)
Ouais Papa… bien et toi ?... Tu as vu la photo… Je ne sais pas comment ils sont rentrés… On fait quoi ?... OK, juste par le portail… Sinon, ouais tout le monde a passé un super week-end… Et ta maison n’a pas brulé… Il a fait super beau… hier soir, on a même fait un barbecue… Évidemment qu’on a remis la housse… (il se retourne et voit la housse sur le barbecue, il serre le poing ravi)… Attends, tu me l’avais assez répété, je n’allais pas l’oublier !
On revient dans le salon du Dieu.
DIEU
Très intéressant. Et comment avez-vous fait pour isoler le Sujet de sa famille ?
L’ANGE (un peu gêné)
Ah sa famille ? Bah un peu pareil. Beaucoup d’organisation, de travail, de coordination entre les équipes.
L’Ange est derrière son bureau en train de travailler. Leila arrive.
LEILA
J’ai une très bonne nouvelle.
L’ANGE
Dis-moi.
LEILA
La mère d’Arthur vient d’obtenir un poste au Sénégal. Les deux parents partent dans 3 semaines pour au moins un an.
L’ANGE
Ah, mais c’est parfait ça. Surtout, tu t’assures bien que l’équipe « contenue » maquille ça dans les informations qu’ils envoient au Dieu. Il faut lui faire croire que c’est grâce à nous qu’elle a eu le job.
LEILA
Yes.
L’ANGE
Bon et évidemment, une fois qu’ils seront là-bas, on va brouiller les appels qu’ils passeront à leur fils ainé. On en est où sur le frère ?
LEILA
Comme tu sais, en temps normal, Arthur et lui n’ont pas beaucoup d’échanges. Mais on l’a tout de même occupé. Son asso vient de remporter l’élection du bureau des élèves.
L’ANGE
OK merci.
On revient dans le salon du Dieu.
DIEU
Il y a quelque chose que je n’explique pas. Comment l’avez-vous transformé ? En quelques semaines, j’ai pu l’observer. Il a changé, il est devenu plus tendu, plus fatigué. Cela ne semble pas avoir été de votre fait.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Lorsque les Dieux suivent la chute d’un sujet, ils ne voient pas notre travail. Les choses arrivent de manière invisible. Ça leur donne un sentiment de pouvoir tout en masquant la cruauté des missions. Et même quand on leur révèle nos astuces, on les présente d’une certaine manière, afin qu’ils s’en amusent.
On revient dans le salon du Dieu.
L’ANGE force son sourire, et tape comme un métronome avec son jeton contre l’accoudoir de son fauteuil.
L’ANGE
C’est grâce aux détails.
DIEU
Aux détails ?
L’ANGE
Des petits pièges qu’on intègre dans la vie du Sujet pour qu’ils soient constamment sous tension. Chez lui, dans la rue, à son travail. Partout où il passait, un piège l’attendait. Rien de très agressif. Juste des détails. Une accumulation de détails.
On voit Arthur prendre sa douche, l’air perdu. D’un coup, il cri.
ARTHUR
Ah putain !
Il sort nu pour éviter l’eau.
Dans une salle de Réunion, LOUIS DE SAINT JULIEN parle à ses équipes dont Arthur. Tout le monde est en costume, très sérieux autour de la table de réunion.
Un téléphone sonne. Arthur, paniqué, fouille dans sa poche.
ARTUR
Pardon.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Putain, les mecs, on ne va pas le répéter à chaque réunion, c’est insupportable
ARTHUR
Pardon, pardon.
Arthur marche dans la rue. Il se baisse pour faire son lacet. Celui-ci craque. Arthur soupire.
L’air endormi, Arthur ouvre un placard suspendu. Des assiettes tombent et se cassent aux sols.
Arthur sort des toilettes, il se lave les mains, mais l’eau part dans tous les sens.
Sur l’écran de la salle de réunion, on voit Arthur dormir. MARIUS et LEILA regardent l’écran, ils ont leurs ordinateurs devant eux.
MARIUS
C’est Mustapha qui a réussi à coder ça. Dès qu’il dort, j’appuie là et bim. Dans une heure la température de sa chambre va monter, puis elle va baisser pendant trente minutes, puis remonter. Bref, tout est fait pour qu’il se réveille avec la crève.
Arthur entre dans la chambre d’Antoine.
ARTHUR
Mec, c’est toi qui as arrêté le lave-linge ?
ANTOINE
Non trop pas pourquoi ?
ARTHUR (énervé)
Je ne comprends pas, j’avais programmé un lavage il n’est pas parti, c’est de la merde ce truc.
Arthur est en teams/zoom avec son patron et des clients (SONIA BADAOUI et des collaborateurs). Arthur est derrière son bureau silencieux.
SONIA BADAOUI (très froide et directive)
Ce qui est important, c’est que sur le data pack, vous fassiez un dashboard qui montre l’évolution de la…
Le son et l’image se figent.
SONIA BADAOUI
… et surtout, vous cleanez les mentions…
Le son et l’image se figent.
SONIA BADAOUI
Quand est-ce que vous pouvez nous envoyer ça ?
LOUIS DE SAINT JULIEN
Écoutez Madame BADAOUI, on va vous envoyer ça d’ici ce soir. Arthur, moi je vais enchainer les réunions, tu fais les modif’ et tu envoies ça directement en remettant tout le monde dans la boucle dès que c’est prêt.
ARTHUR (paniqué)
Oui, oui, mais je n’ai pas très bien compris.
La communication se coupe.
Arthur dort. Son téléphone allume un réveil affichant 3h30 du matin.
Arthur se réveille en sursaut, regarde son portable l’air étonné et l’éteint.
Arthur est dans le métro. Il regarde l’affichage des stations. Il est au téléphone.
ARTHUR (stressé)
Je suis là dans 15 minutes. Ce n’est pas de ma faute, le métro est resté bloqué… je sais que cette réunion est importante… mais…
Dans la salle de bain, des affaires sèchent sur un tancarville. Arthur en caleçon t-shirt s’apprête à les ranger. Mais en les touchant, il s’aperçoit que quelque chose ne va pas.
ARTHUR
C’est quoi ce bordel ? C’est resté toute la nuit étendu, et c’est toujours pas sec. Merde j’ai plus de chemises.
Arthur est derrière son bureau. L’open-space est assez vide, seul JÉRÔME dans un bureau pas loin du sien et présent. D’un coup, il se met à crier en cliquant frénétiquement sur sa souris.
ARTHUR
Merde merde merde.
JÉRÔME
Qu’est-ce qui t’arrive ?
ARTHUR
J’ai envoyé le datapack du dossier Océan à Sonia Berthaut au lieu de Sonia Badaoui !
JÉRÔME
Ah, l’enfer, tu n’as pas pu rattraper l’email ?
ARTHUR (énervé)
Putain de bordel de merde !
LOUIS DE SAINT JULIEN est sur la terrasse d’un rooftop, une coupe de champagne à la main. Derrière lui, à l’intérieur, on voit des gens en costume boire du champagne.
Il est au téléphone.
LOUIS DE SAINT JULIEN (au téléphone)
Ouai Harold ça va ? (…) tu devineras jamais avec qui je viens de discuter ? (…) Bernard de Louvert, le patron France de Sentéo (…) Ah bah si mon gars, justement, j’ai récupéré sa carte de visite, j’ai rendez-vous dans deux jours dans son bureau pour lui montrer comment on peut l’accompagner sur ses prochains deals (…) Ça, ce n’est pas mon problème, c’est mon junior qui va pondre une présentation (…)
L’Ange est derrière son bureau. De son ordinateur sort le son de la conversation de Louis de Saint Julien. On voit sur son écran une bande sonore passée.
LOUIS DE SAINT JULIEN (son sortant de l’ordinateur de l’Ange)
Je suis à la soirée du trophée des échos. Je fais que de networker depuis 18h, je suis au top.
Derrière la vitre de son bureau, on voit Victoire arrivait dans le couloir. Elle regarde tous les employés travailler et frappe à la porte du bureau de l’Ange qui lui fait signe d’entrer.
Elle entre, l’Ange ne coupe pas le son de son ordinateur.
LOUIS DE SAINT JULIEN (son sortant de l’ordinateur de l’Ange)
Ah, mais je t’ai pas dit ? Demain au déj, je suis invité au rendez-vous annuel des jeunes entrepreneurs du Medef. Là aussi je vais distribuer des cartes de visite à gogo. Ça va ramener du deal.
HAROLD (son sortant de l’ordinateur de l’Ange)
Et comment tu arrives à être invité à tous ces évènements ?
LOUIS DE SAINT JULIEN (son sortant de l’ordinateur de l’Ange)
Ah bah ça mon vieux, c’est quand tu passes partner chez KDK, ça t’ouvre des portes.
L’Ange appuie d’un coup sur le clavier de son ordinateur et coupe le son.
VICTOIRE
C’est ton sujet qui est content comme ça ?
L’ANGE
Non, c’est son patron. Pour donner plus de travail à mon sujet, on a invité son boss à des évènements de networking pour qu’ils rapportent des dossiers. Je trouvais que mes équipes l’avaient fait un peu grossièrement, ils lui ont juste envoyé directement les invitations par email. Je voulais vérifier qu’il ne trouvait pas ça louche, mais à priori, cet idiot trouve ça tout à fait normal.
VICTOIRE
Donc même dans une mission à 43 millions, il y a de l’amateurisme ?
L’ANGE
Haha, c’est pour t’en assurer ça que tu es venu ?
VICTOIRE
Oui, et pour que tu me parles de ta « division digitale » comme l’appelle l’Archange. Il est passé hier dans mes bureaux et m’a rabâché les oreilles avec ça.
L’ANGE
Ah…
L’ANGE se lève et montre à travers la vitre un espace de l’open-space où 6 personnes travaillent sur le même plan de travail.
L’ANGE
Tu vois les 6 personnes là-bas ? C’est ça ma « division digitale ». Il y a d’abord Astrid…
On voit Astrid de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant elle des bouts de messages, des conversations zoom entre Arthur et ses parents, un appel téléphonique qui s’allume et s’éteint.
L’ANGE (voix off)
Son rôle est assez classique, tu dois avoir un poste équivalent. Elle est chargée de brouiller toutes les conversations digitales du Sujet, particulièrement avec ses parents et son ex-copine, mais également à son travail ou avec ses amis. À côté d’elle, tu as Hilaire…
On voit Hilaire de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant Hilaire des vidéos courtes amusantes ou belles du style Instagram/Tiktok.
L’ANGE (voix off)
Hilaire est chargé de rendre addict le sujet aux réseaux sociaux. Ce qui n’était pas du tout le cas. Pour cela, il a pris la place de l’algorithme et a choisi les vidéos, photos et articles qui lui sont montrés. Et ça marche très bien. En à peine quelques semaines, le sujet a pris le réflexe de sortir son portable dès qu’il a trois minutes pour regarder des trucs débiles. Dans les transports, lorsqu’il prend un café, aux toilettes. Avec toute la charge de travail qu’il a, c’est devenu son dernier loisir. Et maintenant, nous changeons ce loisir en dégoût grâce à Carole.
On voit Carole de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant Carole des vidéos montrant des images du réchauffement climatique, des titres de journaux inquiétants.
L’ANGE (voix off)
Carole sélectionne de son côté des contenus déprimants qu’on montre petit à petit au sujet. Article sur la guerre en Syrie, vidéo choc d’un garçon qui chute d’un train, graphique présentant les conséquences du réchauffement climatique on y va progressivement pour ne pas casser l’addiction qu’on a réussi à créer, mais l’objectif est qu’à terme ça couvre 100% des contenus qu’il voit. Nous avons en face de Carole, Lucie que nous surnommons Bambi Girl…
On voit Lucie de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant Lucie des pochettes d’albums, des pistes de sons.
L’ANGE (voix off)
Lucie a fait un master en musicologie. Elle a notamment étudié l’impact de la musique sur nos émotions. Elle sélectionne les musiques qui défilent dans les oreilles du sujet dès qu’il met son application en mode aléatoire.
VICTOIRE (voix off)
En gros, elle lui met que des chansons tristes.
L’ANGE (voix off)
C’est plus complexe que ça. Elle te l’expliquera mieux que moi, mais en gros, si le sujet est triste, écouter une chanson mélancolique peut lui faire du bien. Ce qu’il faut c’est à contre temps de son émotion. À côté d’elle, tu as Sylvain.
On voit Sylvain de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant Sylvain des images de junks food, et l’interface d’application (style Deliveroo)
L’ANGE (voix off)
Avec tout le travail qu’il a, le sujet n’a pas le temps de cuisiner. Il commande donc soit par des applications de livraison de son téléphone, soit par un service dédié quand il est au travail. Dans les deux cas, Sylvain met en avant les plats ayant le plus fort taux de sel et de graisses hydrogénées AGT. Et enfin, au bout de la table tu as Fatima.
On voit Fatima de face, travailler sur son ordinateur.
Pendant que la voix off de l’Ange parle, on voit apparaitre devant Fatima des listes de courses avec des prix.
L’ANGE (voix off)
Comme pour la nourriture, le sujet n’a plus le temps de faire des courses. Il se fait donc livrer tout ce dont il a besoin. Il sélectionne des articles, sauf que nous interceptons la liste de course qu’il envoie à l’application, pour nous charger nous-mêmes de lui fournir ses produits. Ça nous permet de lui vendre des produits, disons, trafiqués. Du dentifrice sans fluor pour nuire à sa dentition et à l’état de ses gencives, du shampoing avec un fort taux de sodium laureth sulfate pour attaquer son cuir chevelu, du déodorant sans agent antibactérien pour qu’il n’ait aucun effet. Bref, tu vois l’idée.
On retourne sur le plan de l’Ange et Victoire.
VICTOIRE
Intéressant. Et comment est ton sujet avec tout ça ?
L’ANGE
Usé.
On voit ARTHUR seul dans le métro, il bâille.
Arthur est à son bureau. Louis de Saint Julien arrive à son bureau avec un dossier.
LOUIS DE SAINT JULIEN
J’ai rencontré le patron de cette boite de logistique. Je lui fais un pitch demain. Fais-moi pour ce soir une présentation avec toutes les filiales qu’on pourrait revendre.
Arthur est sur son lit, en train de manger un burger. Sur ses genoux, il y a son ordinateur. Il essaye de lancer un film, mais l’image se bloque.
ARTHUR
Putain, j’en peux plus de cet internet de merde.
Arthur est dans une salle de réunion avec d’autres collègues. Un senior leur parle, mais Arthur n’est pas concentré. Il se gratte la tête et le cou comme si cela le démangait.
Arthur est en facetime avec Anne.
ANNE
Écoute Arthur, il faut qu’on arrête d’essayer d’échanger. Tu vois bien que ça ne marche pas. Et puis… j’ai rencontré quelqu’un ici. Je vais rester 6 mois de plus.
Arthur se sert un café à la machine à café, celui-ci n’arrête pas de couler, même quand Arthur essaye frénétiquement sur le bouton. Cela déborde de sa tasse et en met sur le sol.
ARTHUR
Oh, mais merde.
Arthur est dans son salon, un kebab devant lui. Il est en conversation zoom avec sa mère.
CAROLINE
Je n’en peux plus de ton père. Il ne fait que de se plaindre. On a tout ici et il n’arrête pas de râler.
ARTHUR
Écoute, maman, je dois de laisser, je dois finir un truc.
Louise de Saint Julien parle à Arthur qui est assis à son bureau.
LOUIS DE SAINT JULIEN
En gros, pour demain, je veux une présentation avec tous les deals qu’on a faits dans la fintech avec une description de nos actions, les valos qui sont ressortis, les partenaires avec qui on a travaillé.
Arthur rentre à l’appartement en costume, Antoine s’apprête à sortir.
ANTOINE
Ah t’es là ?
ARTHUR
Ouais, tu sors ?
ANTOINE
Ouais on va boire des coups avec Amyia.
ARTHUR
Avec qui ?
ANTOINE
Avec Amyia, ma copine.
ARTHUR
Tu as une copine ?
ANTOINE
Gros, ça fait presque quatre mois. Ce n’est pas possible que tu sois aussi largué.
ARTHUR
Ouais… Pardon.
ANTOINE
D’ailleurs, il faut que je te dise. D’ici fin juin, je vais probablement habiter chez elle. Je voulais te le dire plus tôt, mais tu n’es jamais là.
ARTHUR
Quoi ?
ANTOINE
J’en peux plus de cet appart. C’est une tristesse. On se voit plus, on ne se marre plus. Tu ne prends pas de nouvelles. Tu n’en as rien à foutre quoi.
Antoine sort de l’appartement.
Arthur est allongé sur son lit. Il pleure.
L’Ange est assis derrière son bureau, LEILA est assise devant lui, lui tendant un document.
LEILA
Donc ça, c’est son article de base, et voici la version réécrite par Assa. Cette version améliorée apparait quand on se connecte sur le site du journal depuis les Etats—Unis.
L’ANGE
C’est une bonne idée cette histoire d’article. Tu penses qu’il peut décrocher une offre quand ?
LEILA
On pousse aux maximums le contenu à des rédacteurs en chef. Je pense que d’ici trois semaines ça pourrait le faire.
Une alarme incendie résonne d’un coup. Marius entre dans le bureau.
MARIUS
C’est quoi ce bordel ?
L’ANGE
Parfois mon métier ressemble à tous les autres. Là par exemple, je vais me faire engueuler par mon patron. Dis à tous les employés de partir avec leurs affaires. Ils ne reviendront plus aujourd’hui.
MARIUS
Ça marche.
Marius sort. On le voit, à travers la vitre, crier aux employés de l’open space.
MARIUS (derrière la vitre)
Allez on prend ses affaires, son manteau et on se tire. C’est une fin de journée pour tout le monde. On reprendra le travail demain. Vous entendez quand je vous parle, on se tire.
Leila prend ses documents et se lève.
LEILA (à l’Ange)
Bonne chance.
L’ANGE
Merci.
Tous les employés s’en vont avec Marius et Leila. L’open-space est vide. L’alarme s’arrête.
Il y a quelques secondes de silence dans l’open-space puis on entend l’ascenseur.
De l’ascenseur et de la porte des escaliers sortent des hommes habillés en noirs avec des masques blancs. Ils vont aux fenêtres et tirent les stores.
L’Archange, en costume, arrive derrière eux. Il va directement dans le bureau de l’Ange et s’assoir devant lui.
L’ANGE
Bonjour cher Archange. Que me vaut cet honneur ?
ARCHANGE (énervé)
Il faut qu’on parle.
L’ANGE
De quoi veux-tu parler ?
L’ARCHANGE
De ta mission. De ta putain de mission à 43 millions !
L’ANGE
Quel est le problème ?
L’ARCHANGE
Le premier problème c’est que tu ne sais pas qu’il y en a un.
L’ANGE
Le Dieu n’aime-t-il pas la mission ?
L’ARCHANGE
Tu veux que je te le dise, c’est ça ? Et bien? écoute bien : oui, le Dieu est accro à la mission. Il passe son temps devant la tablette qu’on lui a donnée à scruter le moindre détail de la vie du Sujet. Il observe ses amis. Et les amis de ses amis. Il lit chaque message, écoute chaque appel téléphonique. Il se balade de personne en personne. Il fouille dans toutes les informations qu’on lui donne. Il se noie dedans. Il ne fait que ça de ses journées : observer la vie du Sujet et de tous les gens qui tournent autour de lui. Il a des informations en direct sur plus de soixante-dix personnes et il serait prêt à doubler le prix de la mission pour en avoir davantage. Mais pourtant, depuis quelque temps, il a l’impression qu’on se fout de sa gueule. Ton Sujet a une vie de merde, très bien. Il a pris 7 kilos, il ne voit plus ses potes, ses parents sont sur le point de divorcer. Chaque nuit, il pleure de litres avant de s’endormir. Sa dépression est au top. Super. Toi et tes je-ne-sais pas combien de sbires avez fait un super boulot. Mais vous avez oublié de faire attention aux perturbateurs de ta mission.
L’ANGE
Les perturbateurs ! Tout de suite les grands mots. Ça arrive très rarement. Tu sais Archange, je crois que tu es traumatisé par les missions qui ne se sont pas bien passées. Par exemple, la mission d’Amine il y a cinq ans, celle où le sujet a profité de tout le malheur qui lui arrivait, pour se recentrer sur lui-même et faire un tour du monde. Honnêtement, je comprends que dans ce genre de cas, ce soit compliqué pour toi d’aller dire au Dieu que tout se passe comme prévu quand le sujet boit de caipi à Jericocoira. Mais dans ma mission, tout roule, il n’y a pas de perturbateur. Pas de grand amour qui va arriver au hasard ou d’inconnu qui va le pousser à rebondir.
L’ARCHANGE
En es-tu si sur ? Tu as misé tout le malheur de ton sujet sur son travail. Hors grâce à ce boulot, ce gars gagne 70 000 euros par an hors bonus et lorsqu’il arrêtera son boulot de con, il n’aura aucun mal à en trouver un autre. Vous vous êtes occupés de son présent, mais pas de son avenir. Alors que lui s’en occupe. Tu as sous-estimé ce qui s’est passé il y a trois semaines.
L’ANGE
Il y a trois semaines ?
L’ARCHANGE
Oui. Le vendredi 7 juin pour être précis. Reviens sur ce qui était diffusé au Dieu vers 18h.
L’Ange clique sur son ordinateur et sur le grand écran contre le mur on voit Arthur, filmé la webcam de son ordinateur, s’énerver contre sa souris.
ARTHUR (à l’écran)
Ah, mais putain, ce n’est pas possible.
L’ANGE (à l’Archange)
Je crois qu’à ce moment-là, un des employés s’amusait à décaler les titres de ses slides à chaque fois qu’il ajoutait du texte à sa présentation.
L’ARCHANGE (énervé)
Il s’est peut-être un peu trop amusé ce soir-là. Avance un peu, au moment où il parle à son collègue.
On voit Arthur s’énervait contre son ordinateur. JÉRÔME arrive à côté de lui.
JÉRÔME
Ça va mec ?
ARTHUR
Non, je crois qu’il y a un bug avec ma souris. Ça me rend fou.
JÉRÔME
Gros, on est vendredi, tu ne veux pas arrêter un peu ?
ARTHUR
Je ne peux pas, je dois envoyer cette présentation à Louis avant ce soir.
JÉRÔME
Il ne la lira que lundi de toute façon. Viens, on va au Frog boire des coups. Ça te fera du bien.
ARTHUR (après un temps)
Vas-y OK.
Toujours avec l’Archange et l’Ange. Sur l’écran est diffusé un plan google maps de Paris où des points avec des noms (« SUJET » « JEROME » « MARK » « AGATHE » « JEAN » « JULES » « LUCAS ») bougent.
En bas de l’écran, on voit une bande audio passée. On entend les échanges d’Arthur et ses collègues.
L’ARCHANGE
Le fait qu’il soit allé boire un verre avec ses collègues, ça a été le premier signe que toi et ton équipe ne maitrisiez pas la situation ! Depuis des mois, ses collègues lui proposent et il a toujours refusé. Sauf cette fois-ci ! Et vous ne l’aviez pas prévu. Et puis merde, même quand ils sont arrivés au bar, il a fallu attendre 20 minutes avant d’avoir un visuel. Ce n’est pas pro.
L’ANGE
C’est Nathan qui était chargé d’aller sur place avec une gopro, mais il a été bloqué par les embouteillages.
L’ARCHANGE
Je m’en fous de ça. Avance au moment où les amis de ses collègues, venant d’autres banques d’affaires, se joignent au groupe.
Autour d’une table, une quinzaine de jeunes gens, en costume (dont Arthur et ses collègues) boivent des bières en parlant fort. Ils sont tous impliqués dans le débat. Au bout de la table, ANTONIN, parle plus fort que les autres.
ANTONIN (à JÉRÔME)
Mais ça, ça ne nous concerne pas. Avec nos salaires, on peut taper des prêts à des taux comparables à ce qu’il y avait avant la crise.
LUCAS
Mais il n’y a que ça, il y a les prix aussi. Ça plus la réduction de la capacité d’emprunt, tu peux plus trouver d’apparts intéressants à Paris.
ANTONIN
Mais c’est que vous ne savez pas chercher. Évidemment, si tu regardes de temps en temps des annonces, tu vas ne rien trouver de cool. Mais je t’assure qu’en étant malin, tu peux trouver un appartement comme j’ai trouvé.
JÉRÔME
Tu as acheté combien de mètres carrés ?
ANTONIN
Soixante-dix mètres carrés.
PAULO
Où ça ?
ANTONIN
Au Batignolles rue Jacquemont.
LUCAS
OK OK. Mais combien ?
ANTONIN
600 000€
PAULO
Tu te fous de notre gueule.
AGATHE
Avec combien de travaux ?
ANTONIN
Zéro travaux. (se reprenant) si j’ai repeint la cuisine, car elle était rose, c’était immonde.
PAULO
Je ne te crois pas. 600 000€ ! Avec ou sans frais de notaire ?
ANTONIN
Hors frais de notaire.
JÉRÔME
Non, mais même si tu rajoutes les frais c’est une dinguerie.
LUCAS
Après, on n’a pas vu l’appartement. Ça se trouve il est en sous-sol.
ANTONIN
Plein sud, 4e avec ascenseur.
PAULO
Désolé gros. T’es sympa et tout. Mais je ne te crois pas.
ANTONIN
Bah, venez le voir. On paye nos bières et on y va tout de suite.
JÉRÔME
Je suis chaud !
AGATHE
Haha. Allons-y je commande un UBER.
LUCAS
Moi aussi go.
JÉRÔME
On en a besoin de combien d’uber en plus ? (il compte le nombre de personnes). Arthur, tu viens avec nous ?
ARTHUR
Ouais. Allons-y.
Toujours avec l’Archange et l’Ange. Sur l’écran est diffusée une image depuis une webcam où on voit un canapé dans un appartement. Tous les gens qui étaient au bar sont soit sur le canapé, soit en arrière-plan.
L’ambiance est très festive. Les gens boivent des bières.
Antonin, sur le canapé, le regard vers la webcam, pianote sur son ordinateur.
ANTONIN
Vous voulez quoi comme musique ?
Une musique démarre en arrière-plan.
L’ARCHANGE
Avance au moment où ton sujet parle à ce type.
L’ANGE clique sur sa souris, et l’image de la fête va en accélérer. Les gens s’assoient et se lèvent du canapé. Finalement, Antonin et Arthur se retrouvent en premier plan, bière à la main.
ARTHUR
C’est la folie ton appartement.
ANTONIN
Merci mec.
ARTHUR
Comment tu as fait pour avoir un plan comme ça ?
ANTONIN
C’est grâce à mon boss. Il fait partie d’un réseau d’entraide pour « gens comme nous », si tu vois ce que je veux dire. Et dans ce truc, il y a des mecs spécialisés dans l’immobilier, ils ont toujours des plans en or. Mais si ça t’intéresse, je peux te parrainer. Donne-moi ton adresse mail, je t’inscrirai sur le site. Il faut deux parrainages, mais je pense que mon boss pourra te parrainer aussi, il s’en fout.
ARTHUR
Je serai chaud ouais.
ANTONIN
Tiens, prends mon numéro et envoie-moi un message demain pour que je n’oublie pas.
L’ANGE arrête la vidéo.
L’ARCHANGE
Tu as merdé. OK. À la limite ça arrive. Tu ne devais pas être sur le qui-vive. Le lendemain, tu n’as pas fait attention à ce qui s’était passé. OK, je peux l’admettre. Mais pourquoi tu n’as pas bloqué les messages que ton sujet a envoyés à ce type. Et puis les jours qui ont suivi, tu voyais bien que ton sujet était localisé dans des endroits bizarres pendant ces pauses déjeuner. Comment tu as pu ne pas voir qu’il visitait des appartements ? Et puis merde, pourquoi vous laissez passer toutes ces informations au Dieu !
L’ANGE
Qu’est-ce que ça aurait changé ?
L’ARCHANGE
Tu sais ce qui s’est passé ? Tu as sous-estimé ton sujet. Tu l’as cru incapable de faire les choix qu’il a faits. Tu l’as cru incapable de visiter seul des appartements, de faire une offre, d’aller voir une banque. Tu l’as cru incapable de contacter un notaire pour signer le compromis. Tu as cru qu’il était détruit psychologiquement, qu’il ne pourrait pas aller au bout. Mais au contraire, grâce à ça, il s’est reconstruit. Et il a acheté 590 000€ un magnifique 61m2 à Belleville. Tu as complètement merdé.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Même ceux qui dirigent la Société des Anges ne comprennent pas nos actions.
L’ANGE
J’ai une question ? Dans ce cas-là, tu dirais que le perturbateur de la mission c’est Antonin, le type qui lui a filé le bon plan, ou l’agent immobilier qui lui a fait visiter l’appartement ?
L’ARCHANGE
Qu’est-ce que tu me racontes ? C’est quoi cette question de merde ?
L’ANGE
Non, je demande, car si c’est Antonin, vu que c’est un de mes employés, je vais pouvoir le virer, mais si c’est l’agent immobilier, le mandat est fini et je lui ai déjà versé sa com’, je peux plus faire grand-chose pour le punir.
L’ARCHANGE
Quoi ?
L’ANGE
Depuis le début de la mission, on essaye de pousser le sujet à mettre toute son épargne dans un achat immobilier. On a fait que ça de lui mettre en avant des pubs de bons plans, mais il n’a jamais mordu, il a trop peur d’acheter trop cher. Il fallait qu’il soit persuadé de faire une bonne affaire pour enfin se décider. J’ai demandé à Antonin d’aller fréquemment dans le bar où ses collègues allaient boire des verres pour commencer à se faire amis avec eux. Le soir où le sujet les a rejoints, il a lancé le sujet des prix de l’immobilier, puis le piège a fonctionné. Je suis passé par ce site d’entre-aide entre personnes de la haute société pour vendre à un prix décoté un appartement que j’ai acheté en janvier. J’ai engagé un agent immobilier qui a très bien convaincu Arthur que cet appartement était l’affaire de sa vie.
L’ARCHANGE
Et qu’est-ce que vous allez faire maintenant ?
L’ANGE (se levant)
Je ne voudrais pas te gâcher la suite de la mission.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Que ce soit nos équipes, les Dieux, ou les dirigeants de la Société des Anges, personne n’a de vision complète sur le mal que nous faisons. Personne à part nous, les Anges. Nous sommes la clef de voûte d’une organisation que nous détestons, nous sommes des bourreaux pleurant leurs victimes, des Anges rongés par leurs démons.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Durant toute cette mission, j’ai beaucoup pensé à Xavier Bequert, mon mentor. À l’époque, je l’adorais. Il était pour moi l’homme qui m’avait offert une possibilité dans la vie. Je le revois me lancer de grandes phrases entre deux cigarettes roulées : « Concentre-toi sur le Dieu, presque plus que sur le Sujet. C’est ainsi que tu t’en sortiras. ». Je ne prenais pas au sérieux ce qu’il me disait. Je voyais en lui un homme gentiment aigri, sans illusion sur le monde, qui avait bien voulu de m’aider quand j’en avais besoin ; un homme auquel je devais tout. En vieillissant, mon opinion sur lui a changé. Il n’était pas désillusionné, il était lucide. Et il ne m’a pas rendu service. Au contraire, c’est lui qui s’est servi de moi.
(un temps)
Quant à la question de son choix… je ne le jugerais pas là-dessus. La société des anges ne donne pas ce luxe aux Anges.
(un temps)
« Concentre-toi sur le Dieu, presque plus que sur le Sujet. C’est ainsi que tu t’en sortiras. ». Ce n’est que sur cette mission que j’ai vraiment appliqué ce conseil. Et c’est surement grâce à ça que je suis là aujourd’hui.
L’Ange entre dans la salle.
Camille est au milieu des deux autres employés, sur les écrans on voit Arthur à son bureau.
Camille lève la tête et voit l’Ange.
CAMILLE (aux autres employés)
Je pense qu’il est temps pour vous d’aller en pause déjeuner.
Les deux autres employés se lèvent et quittent la salle.
L’ANGE
On en est où de la consommation du Dieu.
CAMILLE
Les stats sont bonnes. Suite à notre point d’il y a deux semaines, on a travaillé chaque point d’ergonomie de la plateforme.
Elle prend une tablette et sur l’écran on voit une plateforme avec différentes vidéos d’Arthur.
L’ANGE
C’est mieux, ça parait plus fluide. (observant, après un temps) Ca a marché l’histoire du bouton qui permet un passage vers le groupe d’amis d’Arthur.
CAMILLE
Oui, tu avais raison, c’était une bonne piste. Depuis qu’on a déplacé l’icône vers le bas et qu’on l’a rendu plus gros, il a plus tendance à cliquer dessus. Ils passent maintenant 20% de son temps sur la tablette à regarder les soirées où le sujet n’est plus invité.
L’ANGE
Et en tout, il y passe combien de temps par jour ?
CAMILLE
6heures à peu près. Et encore la semaine dernière sa moyenne était de 9heures par jour.
L’ANGE
C’est bien.
CAMILLE
Il est devenu complètement addict. Je ne sais même pas comment il arrive à poursuivre sa vie professionnelle.
L’ANGE
Il n’y arrive pas.
CAMILLE
Comment tu sais ça ?
L’ANGE
C’est mon rôle.
On revient dans le salon du Dieu.
DIEU
Vous n’êtes pas tout à fait honnête avec moi sur un point.
L’ANGE (étonné)
De quoi parlez-vous ?
DIEU
Vous avez eu de la chance et vous me le cachez
L’ANGE
De la chance ?
DIEU
Oui, de la chance d’avoir un Sujet qui a fait de mauvais choix.
L’ANGE
Comment ça ?
DIEU
Vous le savez très bien. Tout au long de la mission, il a pris par lui-même de mauvais chemins. Le pire choix qu’il ait fait a été celui qui a causé son licenciement. Il a dû prendre une décision. Il a pris la mauvaise, il a été viré. Il aurait fait un choix différent, votre mission ne se serait pas aussi bien passée.
L’ANGE
Alors, tout d’abord, il n’a pas fait un mauvais choix, il en a fait trois. Et encore, je ne suis pas sûr qu’on puisse les qualifier de « mauvais ». Ensuite, je me demande si vous auriez fait mieux.
DIEU
Qu’est-ce que vous voulez dire ?
L’ANGE
Je vais vous proposer un jeu. Vous allez être soumis au même dilemme qu’Arthur. Mais vu que vous êtes un Dieu puissant et non un simple sujet, vous aurez la possibilité de corriger vos « mauvais » choix. Ça vous dit ?
DIEU
Je vous écoute.
On voit Arthur arriver à son poste de travail. Une grande partie de l’open space est vide.
Louis de Saint Julien arrive.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Ça va mon petit Arthur.
ARTHUR
Salut, Louis, tu n’es pas parti en vacances ?
LOUIS DE SAINT JULIEN
Je suis juste repassé récupérer quelques présentations. J’ai réussi à réserver à un resort à Saint-Raphaël où tout le gratin du private equity parisien se retrouve. Je vais nous ramener pleins dossiers pour la rentrée. D’ailleurs, j’y pense, tu as posé tes vacances ?
ARTHUR
Non, pas encore, j’attends le retour d’amis pour me caler sur les dates.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Bon d’ici là, va voir Clara, elle va te brancher sur un dossier. Allez, à plus, et pas de bêtises pendant que je ne suis pas là.
Arthur frappe à la porte. On entend un « Entrez » de la part de Clara. On se retrouve dans un bureau avec plein de dossiers.
CLARA
Ah, Arthur, ça va. On m’a dit que tu n’avais pas encore pris tes vacances.
ARTHUR
Oui, j’attends le retour…
On revient sur le plan de Clara, mais c’est l’Ange qui est assis à sa place.
L’ANGE
Évidemment, vous répétez le même mensonge. La vérité c’est que vous n’avez rien organisé, car vous n’avez pas vu vos amis depuis longtemps et que vous ne voulez pas aller rendre visite à vos parents au Sénégal, car ces derniers passent leur temps à s’engueuler.
On revient sur le plan d’Arthur, mais à la place d’Arthur il y a le Dieu
LE DIEU
J’imagine que vous m’avez prévu du travail.
On revient sur le plan de l’Ange, mais Clara a repris sa place.
CLARA
Pendant le mois d’aout, toute l’équipe va être divisée en deux missions. La première (elle présente un dossier bleu), je ne vais pas te cacher, va être une mission assez stressante, mais très bien pour ta carrière, c’est un deal dont on va parler longtemps. La seconde (elle présente un dossier rouge) est une mission plutôt classique, mais vu ton niveau, tu seras en « front ». Qu’est-ce que tu choisis ?
On revient sur le plan du Dieu
DIEU
Euh, voyons…
On revient sur le plan de Clara, mais c’est l’Ange qui est assis à sa place.
L’ANGE
Alors, dites-moi. Quel choix faites-vous ?
DIEU (en prenant le dossier bleu)
Je vais prendre la première mission.
On revient sur le plan de l’Ange, mais Clara a repris sa place.
CLARA
Parfait. Va voir Solange, elle va te briefer sur le dossier.
Le Dieu se lève et avant de sortir il se retourne vers le bureau où l’Ange a pris la place de Clara.
DIEU
J’ai l’impression que c’était un piège.
L’ANGE
Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas le mauvais choix. Et au pire, vous reviendrez en arrière, c’est aussi le pouvoir d’un Dieu.
Dans un large bureau, très bien rangé, Solange est assise derrière son bureau, Arthur est en face d’elle.
SOLANGE
Clara t’a laissé le choix ? C’est bien, tu as fait le bon. On va travailler sur le rachat par Songri Partners de Berytech, groupe de pharma coté. Ils détiennent déjà 20% du capital, mais vont faire une OPA pour avoir la main complète sur le groupe afin de revendre chaque filiale. Ils font appels à nous pour savoir à quel prix de rachat l’opération est rentable.
ARTHUR
Ça a l’air intéressant.
SOLANGE
Ça l’est. Tiens signe ça.
ARTHUR
Qu’est-ce c’est ?
SOLANGE
Un NDA. Un document qui t’engage à ne pas dévoiler d’information sur le deal.
Arthur commence à lire.
SOLANGE
Oh ne t’embête pas à lire. C’est juste pour la forme. Les fonds sont toujours paranos quand on parle de marché coté. Ils pensent que d’autres investisseurs vont être à l’affut auprès des juniors comme toi pour glaner des infos. C’est ridicule. Viens, je vais te présenter l’analyste de chez Songri Partners qui va travailler avec toi.
Solange et Arthur entrent dans une salle de réunion où un homme en costume (ALBAN), la trentaine, est déjà assis.
SOLANGE
Alban, je te présente Arthur, un des référents du dossier.
ALBAN
Bonjour, Arthur, j’espère que tu es motivé, car il y a du travail.
Les plans s’enchainent entre Arthur qui travaille à son poste (jour comme de nuit) et Alban qui depuis son bureau est au téléphone avec Arthur.
ALBAN
Arthur, tu pourrais remodeler le business plan en retirant la branche logistique.
ALBAN
Non, il faut refaire tourner les chiffres, mais avec un leverage plus faible.
ALBAN
C’est n’importe quoi ce que tu fais, l’effet de levier est trop bas.
ALBAN
J’attends les chiffres à jour Arthur
ALBAN
Je pense qu’il faut que tu recommences le modèle, car là on ne comprend plus rien.
On voit Solange mener la réunion. Autour de la table sont assis plusieurs employés, dont Arthur et Jérôme.
SOLANGE
Bon, mercredi, l’OPA va enfin avoir lieu. Le prix de l’action normalement sera de 10,32 euros. Évidemment, cette information est ultraconfidentielle. Je vais vous demander d’être réactif ce week-end, car le client va probablement nous solliciter. Si Alban vous appelle ou vous envoie un email faudra être sur le coup. Vous pouvez y aller.
Arthur et Jérôme sortent de la réunion.
JÉRÔME
C’est vraiment la pire des missions.
ARTHUR
Je n’en peux plus. Chaque fois que j’ai au téléphone Alban, j’ai envie de retourner la table. Pas un bonjour, pas un merci.
JÉRÔME
Surtout qu’il va toucher un méga bonus avec cette opération.
ARTHUR
J’ai jamais vu un bâtard pareil.
Arthur revient à son bureau avec une tasse de café. Son téléphone sonne, il décroche.
Élisabeth, dans un open space, parle avec Arthur. Élisabeth a un accent anglais. Durant leur échange, on passe d’un plan sur Arthur à un plan sur elle.
ÉLISABETH
Bonjour, est-ce que je parle bien à Arthur Garlot ?
ARTHUR
Oui. Bonjour.
ÉLISABETH
Hey. Je m’appelle Élisabeth Jackson, je travaille pour Black Long Capital, fonds d’investissement basé à Londres. Votre profil nous a été recommandé, on aimerait savoir si vous êtes disponibles ce week-end pour une session de recrutement.
ARTHUR
Ce week-end ?
ÉLISABETH
Oui, on sait que ce n’est pas toujours évident pour les analystes M&A de se libérer pour des entretiens, c’est pour ça que nous faisons des sessions on Saturday. Il y aura une présentation du fonds, quelques entretiens, puis le soir une soirée dans un bar. Nous vous réserverons évidemment un hôtel et des billets Eurostar. Êtes-vous intéressé ?
On revient sur le plan d’Arthur au téléphone, mais c’est le Dieu qui a pris sa place.
DIEU
Euh c’est-à-dire que…
On revient sur le plan d’Élisabeth, mais c’est l’Ange qui a pris sa place.
L’ANGE
C’est nous qui avons recommandé le profil d’Arthur ainsi que ceux de ses collègues au fond Black Long Capital. C’est une belle opportunité pour lui : partir à Londres, dans un fonds aussi prestigieux, lui permettrait de reprendre sa vie à zéro. Oublier tous les problèmes de ses derniers mois. Par contre, ça le rendra indisponible pour travailler ce week-end.
LE DIEU
C’est vite vu. Évidemment qu’à la place du sujet, je serai allé passer les entretiens à Londres.
Élisabeth a repris la place de l’Ange.
ÉLISABETH
Perfect. Si vous pouvez nous envoyer une copie de votre passeport par email, on va s’occuper des billets. See you on Saturday.
On voit Arthur, dans les rues de Londres. Il parait content.
Il se présente en bas d’un building.
Arthur entre dans l’immeuble. Il est accueilli par Élisabeth.
ÉLISABETH
Bonjour, Arthur c’est bien ça ?
ARTHUR
Oui bonjour.
ÉLISABETH
Élisabeth Jackson, on s’est eu au téléphone. Tu as fait bon voyage ? Je t’en prie le session program va bientôt commencer, suis moi.
Dans une salle, plusieurs candidats attendent dont JÉRÔME et JEAN. Arthur s’assoit à côté d’eux en les saluant.
La salle est très grande, il y a des frigos, des tables de pingpong, babyfoot…
JÉRÔME
Je vois que les rosbifs ont sélectionné la crème de la crème du M&A français.
Arthur et Jean rient.
Élisabeth se tient debout devant les candidats et prend la parole.
ÉLISABETH
Merci à tous d’être venu. L’idée est qu’on fasse une première session où je vous présente la société, nos activités, mais aussi comment ça se passe quand on travaille ici, les grilles de salaires, la charge de travail, etc. Spoiler alert : compare to jobs in the french private equity sector, we are more paid and we work less. I have been there, so I know ! Ensuite, je vous passerai un timetable avec tous les entretiens individuels, puis ce soir on a rendez-vous au Garden Bar qui est le bar où l’on va tout le temps. Des questions ?
On voit Élisabeth faire visiter les locaux à tout le groupe. Puis ils attendent dans la salle, en jouant au pingpong et en buvant des sodas. Ils sont appelés par Élisabeth pour passer des entretiens. Arthur sort de la salle, il revient dans la salle.
Arthur et Jérôme discutent.
JÉRÔME
Tu as fait combien d’entretien depuis ce matin ?
ARTHUR
Cinq dont le case study et dans quelques minutes j’ai mon sixième.
JÉRÔME
L’ambiance est sympa, mais c’est fatigant.
ARTHUR
Grave. Je crois que c’est le dernier que j’ai.
JÉRÔME
Je crois aussi, je passe juste après toi.
Élisabeth entre dans la salle.
ÉLISABETH
Arthur ?
Arthur se lève et suit Élisabeth.
Ils entrent dans une petite salle de réunion, ou Kate, une dame d’une cinquantaine d’années, est déjà assise.
KATE
Hi Arthur, nice to meet you. I am Kate, senior associate at Black Long Capital. Please take a seat. J’imagine que ça doit être épuisant de faire tous ces interviews en anglais. Pour ton dernier, je te propose qu’on le fasse en français. Je suis franco-américaine.
ARTHUR
Oui, très bien.
KATE
Ok for your Elisabeth ?
Élisabeth s’assoit à côté de Kate.
ÉLISABETH
Parfait, j’adore pratiquer mon français. On y va !
KATE
Bon Arthur, je vais être clair, ton profil est très intéressant. Tu as l’air super et tu as toute ta place dans notre équipe. Le problème… c’est que tous les candidats qui sont dans la salle sont aussi super. Tu comprends ?
ARTHUR
Oui. Enfin je crois. Qu’est-ce que je peux faire pour vous prouver que je suis plus super que les autres ?
KATE
Dans notre métier, ce qui est clef, c’est l’information. Quelqu’un avec une information a plus de valeur que les autres. Tu comprends ?
ARTHUR
Euh... oui.
KATE
As-tu une information de marché qui te rendrait plus super que les autres candidats ?
ÉLISABETH
It’s may look strange to you. But, it quite basic when you want to enter in this kind of funds. Don’t worry. Quoi que tu dises, cela ne sortira pas d’ici.
L’Ange a pris la place de Kate.
L’ANGE
Il y a une information précise que vous pourrez donner : à quel prix d’action Songri Partners compte racheter Berytech. Après vous pouvez aussi vous taire. À vous de choisir ?
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU (hésitant)
Hmm…
L’ANGE
Encore une fois, n’ayez crainte, si c’est le mauvais choix, vous pourrez revenir en arrière.
LE DIEU
À la place du Sujet, je ne dirais rien.
L’ANGE
Vous êtes sur ? Vous allez voir que ça va vous enrager et faire faire des bêtises.
LE DIEU
Oui, je suis sûr.
Kate a repris sa place.
KATE
Up to you. (elle se lève et part d’un ton sec) Enjoy your drink tonight at the Garden Bar.
Arthur est sur le quai, au téléphone.
ARTHUR
Écoute Alban, OK tu as besoin des chiffres à jour, mais là je ne peux rien faire…Mon accès à distance ne marche pas ! Qu’est-ce que tu veux que fasse ?... Je ne sais pas, mon train est retardé… je pense que j’arriverai en fin d’après-midi à Paris… Je veux bien, mais tu me demandes de modifier toutes les hypothèses du modèle un dimanche matin… je n’ai pas d’accès à distance… Allo ? Allo ?
Arthur s’énerve en comprenant qu’Alban a raccroché.
Arthur arrive à son bureau, fatigué.
Il se pose et son téléphone sonne.
ARTHUR
Allo ?
On voit le plan d’Élisabeth à son bureau, qui lui répond. La conversation enchaine les plans entre Arthur et Élisabeth.
ÉLISABETH
Hello, Arthur, c’est Élisabeth Jackson.
Arthur
Oui bonjour. Tu peux attendre 2 minutes, que je m’isole.
Arthur se lève et va dans une salle de réunion pour s’isoler.
ÉLISABETH
Juste pour te dire que nous n’allons pas retenir ta candidature.
ARTHUR
C’est parce que je n’ai pas donné d’informations sur mes dossiers, c’est ça ?
ÉLISABETH
Oui, d’autres candidats ont été moins pointilleux que toi et ont eu le poste.
À travers la vitre de la salle de réunion, Arthur voit Jérôme et Jean tout contents.
ÉLISABETH
Je vais te donner un conseil. Si tu as une information qui peut te rapporter, il faut que tu l’utilises. Tout le monde fait ça.
ARTHUR
Ouais, merci du conseil.
Arthur raccroche. Il parait tendu, il tient son poing fermé en voyant Jérôme et Jean rigoler dans l’open-space.
Le téléphone d’Arthur sonne.
ARTHUR
Allo ?
On voit Alban dans une salle de réunion avec un autre de ses collègues (DANIEL). Alban est au téléphone, il répond à Arthur.
Pendant l’échange, les plans s’échangent entre celui d’Arthur et celui d’Alban
ALBAN
Arthur, il faut que je t’appelle combien de fois pour avoir les chiffres à jour ?
ARTHUR
Je viens d’arriver à mon bureau.
ALBAN
Est-ce que c’est mon problème ? On m’a dit que tu étais loyal, prouve-le.
Alban appuie sur son téléphone et le jette sur la table.
ARTHUR
Allo, allo ?
Plan de la salle de réunion d’Alban, on voit que son téléphone n’a pas raccroché, Arthur est toujours au bout du fil.
ALBAN (à son collègue)
Tu as vu que l’action de Berytech est à 6,10€ !
DANIEL
J’ai vu, je viens d’en acheter 6000.
ALBAN
Pareil. Rarement vu de l’argent aussi facile.
Plan sur Arthur, il a toujours son téléphone contre l’oreille.
ARTHUR
Mais, il se fout de ma gueule !
Arthur s’énerve, il balance son stylo à travers la pièce.
Gros plan sur la télévision de la salle de réunion et particulièrement la webcam fixée au-dessus.
Dans la salle de réunion du bureau de l’Ange, on voit sur l’écran qui est accroché au mur Arthur s’énerver (vue depuis la webcam).
Leila est debout devant Alan. Il a un casque audio avec micro sur la tête et un ordinateur devant lui.
LEILA
Voici la personne que tu vas avoir au téléphone. Il faut que tu te fasses passer pour son conseiller bancaire et que tu lui fasses acheter des actions Berythech.
ALAN
Pas de problème. 20 ans de démarchage bancaire au téléphone, je sais les mots clefs pour le faire craquer.
Alan appuie sur son clavier d’ordinateur. Il attend quelques secondes.
ALAN
Bonjour, Alan Raymond de la banque Forméo, je parle bien à Arthur Garlot ?
Les plans se coupent juste sur les mots clefs :
ALAN
« inflation »
« Epargne »
« manque à gagner »
« actions »
« discrétion »
Le plan redevient normal.
ALAN
Vous devez maintenant avoir reçu un lien de sécurité par SMS. Voilà. Et bien, je vous remercie et vous souhaite une bonne journée.
Il raccroche et enlève son casque.
ALAN (à Leila)
On nous a toujours appris en formation à essayer de capter le mood des clients dans les premières secondes. Plus ils semblent préoccupés, plus c’est simple de les convaincre. Là, c’était presque trop facile.
LEILA
Je te remercie.
Solange est derrière son bureau, Arthur entre.
ARTHUR
On m’a dit de venir ici, je peux faire quelque chose ?
SOLANGE
Lors du rachat, l’AMF a contrôlé les personnes qui ont travaillé sur l’opération. Ton nom a été trouvé comme actionnaire… C’est une faute grave et impardonnable Arthur. Tu prends tes affaires et tu quittes les locaux sur le champ.
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Mais…
L’Ange a pris la place de Solange à son bureau.
L’ANGE
C’est perdu. Je suis désolé. Vous avez fait le mauvais choix… mais ne vous inquiétez pas, vous avez une nouvelle chance !
Les scènes se rembobinent jusqu’à l’entretien de Black Long Capital.
On se retrouve dans la salle d’entretien avec Kate, Élisabeth et Arthur.
KATE
As-tu une information de marché qui te rendrait plus super que les autres candidats ?
ÉLISABETH
It’s may look strange to you. But, it quite basic when you want to enter in this kind of funds. Don’t worry. Quoi que tu dises, cela ne sortira pas d’ici.
L’Ange a pris la place de Kate.
L’ANGE
Alors ?
Le Dieu a pris la place d’Arthur
LE DIEU
Je travaille sur un projet d’OPA. Songri Partners veut racheter Bery Tech. L’annonce aura lieu mercredi.
Kate a repris sa place.
KATE
À quel prix ?
Arthur a repris sa place.
ARTHUR
10,32€ selon les dernières analyses.
KATE
Wonderful. Consider yourself part of the team Arthur !
Arthur est sur le quai, au téléphone.
ARTHUR
Écoute Alban, on est dimanche, je suis à Londres, je ne peux rien faire pour toi… Et bien tant pis, ça attendra demain.
Arthur arrive à son bureau, souriant.
Agathe arrive près de lui.
AGATHE
Salut, Arthur, Solange veut te voir.
ARTHUR
Ça marche, merci.
Solange est derrière son bureau, Arthur entre.
ARTHUR
On m’a dit de venir ici, je peux faire quelque chose ?
SOLANGE (sec)
Alban m’a dit que tu étais à Londres ce week-end.
ARTHUR (hésitant)
Oui…
SOLANGE
Tu étais dans les bureaux de Black Long Capital ?
ARTHUR (hésitant)
Euh…
SOLANGE
Dis-moi la vérité, car en un coup de fil je peux vérifier l’information.
ARTHUR
Oui, j’y ai passé des entretiens.
SOLANGE
C’est donc comme ça qu’ils ont entendu parler de l’OPA. Voilà ce qui va se passer Arthur. Tu vas prendre tes affaires, rendre ton badge et ne plus remettre les pieds ici.
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Mais, je n’étais pas le seul de la boite à passer un entretien.
L’Ange a pris la place de Solange.
L’ANGE
Cet argument va encore plus l’énerver, ça ne vous sauvera pas. L’affaire va faire du bruit. Autant vous dire que Black Long Capital ne va jamais vous envoyer d’offre d’embauche. C’est perdu !
Les scènes se rembobinent jusqu’à la première conversation téléphonique entre Élisabeth et Arthur.
Arthur et Élisabeth sont au téléphone.
ARTHUR
Ce week-end ?
ÉLISABETH
Oui, on sait que ce n’est pas toujours évident pour les analystes M&A de se libérer pour des entretiens, c’est pour ça que nous faisons des sessions on Saturday. Il y aura une présentation du fonds, quelques entretiens, puis le soir une soirée dans un bar. Nous vous réserverons évidemment un hôtel et des billets Eurostar. Êtes-vous intéressé ?
LE DIEU (à la place d’ARTHUR)
Non, merci ça m’intéresse pas.
L’Ange a pris la place d’Élisabeth.
L’ANGE
Du coup,vous serez à Paris ce week-end contrairement à vos collègues. Alban de chez Songri Partners vous demandera donc de travailler.
Arthur, habillé normalement (sans costume), marche dans la rue, avec sa pochette d’ordinateur sous le bras. Il est au téléphone.
ARTHUR
Écoute Alban, mon accès à distance ne marche pas. Je suis à mon bureau dans 20 minutes et je t’envoie les chiffres à jour. OK ?
Arthur arrive à son bureau.
ARTHUR (pour lui-même)
Je suis le seul abruti qui travaille un dimanche.
Son téléphone sonne. Il décroche.
Sur un terrain de golf avec un hôtel en fond, on voit Louis de Saint Julien au téléphone.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Salut, Arthur, je te dérange ?
ARTHUR
Salut Louis.
L’ANGE a pris la place de Louis de Saint Julien.
L’ANGE
Avant de passer à ce choix, je vous propose qu’on regarde si l’autre dossier n’était pas la meilleure solution. Retenez juste ça : refusez l’entretien à Londres, aurait obligé Arthur à être à son bureau le dimanche.
Les scènes se rembobinent jusqu’au moment où Arthur/Le Dieu devait choisir entre le dossier rouge et bleu dans le bureau de Clara.
On revient à la scène entre Clara et Arthur avec les deux dossiers.
CLARA
Pendant le mois d’aout, toute l’équipe va être divisée en deux missions. La première (elle présente un dossier bleu), je ne vais pas te cacher, va être une mission assez stressante, mais très bien pour ta carrière, c’est un deal dont on va parler longtemps. La seconde (elle présente un dossier rouge) est une mission plutôt classique, mais vu ton niveau, tu seras en « front ». Qu’est-ce que tu choisis ?
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Je vais prendre la seconde mission.
CLARA
Bien, il s’agit de la vente Bar Flam Event, société d’évènementiel. Il va falloir préparer un business plan, et présenter la société à des investisseurs potentiels. Bref, un LBO classique. Le fondateur de la société, Philippe Seydoux, va passer dans les bureaux cet après—midi, je te le présenterais. Je te préviens, fais gaffe à lui. Il parait sympathique, mais il est en réalité très stricte. Le moindre écart, la moindre familiarité de trop, et il peut s’énerver et retirer le mandat.
Arthur travaille à son bureau, le dossier rouge sur son bureau.
Philippe Seydoux et Clara arrivent.
CLARA
Philippe, je vous présente Arthur, le principal analyste sur votre dossier.
Arthur et Philippe se serrent la main.
PHILIPPE
Bonjour mon garçon. Ah, je vois que tu es déjà sur la présentation, c’est bien ça.
ARTHUR
Bonjour Monsieur.
PHILIPPE
Voyons, appelle-moi Philippe. Alors, tu penses que tu vas trouver des gens intéressés par cette petite boite.
ARTHUR
Je viens de voir les chiffres, avec 600 millions de CA à travers l’Europe, je crois qu’on commence à dépasser la startup nation !
PHILIPPE
Haha, tu me plais toi.
CLARA
Venez Philippe, je vais vous présenter le reste de l’équipe.
Les plans s’enchainent entre Arthur qui travaille à son poste (jour comme de nuit).
Clara mène la réunion devant plusieurs analystes, dont Arthur, Jules, Mark et Agathe.
CLARA
Bon, pour rappel, lundi, on va présenter les offres à Philippe Seydoux. C’est Arthur qui fera la présentation. Après, on verra comment le dossier avancera en fonction du choix de Philippe. En tout cas, il vous remercie tous pour votre travail et vous invite dimanche, au festival La Pépinière, à Vincennes, en accès backstage. Voici vos badges, vous pouvez inviter jusqu’à 5 personnes avec vous. (elle distribue les badges).
L’ensemble des membres de la réunion sont contents à l’annonce de cette nouvelle.
CLARA
On se retrouve lundi, bon week-end.
Clara sort, Agathe, Jules, Mark et Arthur restent discuter.
VIOLAINE
Non, mais c’est la folie d’avoir un accès backstage.
JULES
On peut ramener jusqu’à 5 potes c’est fou !
MARK
Mes potes vont péter un câble. On se retrouve dimanche !
AGATHE
Tu n’as pas l’air content Arthur ?
ARTHUR
Si si, c’est juste que je ne sais pas si j’aurais le temps.
JULES
Tu vas voir, tu vas en parler à quelques potes, ils vont te convaincre que tu auras le temps !
Dans un appartement avec quelques cartons et un matelas au sol, Arthur est assis en regardant son badge posé sur la table.
Son téléphone sonne.
ARTHUR
Allo ?
On voit Rémi, au fond d’un bus.
RÉMI
Arthur ? Au merci tu décroches. C’est Rémi.
ARTHUR (étonné)
Rémi ? Comment ça va.
RÉMI
Bien bien. Enfin, j’ai une petite galère. Je suis dans un bus là de retour d’Amsterdam. J’arrive demain matin à 5h. J’avais un bus prévu pour Bordeaux dans la foulée, mais il a été annulé. Le prochain que j’ai est lundi matin. Je peux squatter chez toi pour 24h.
ARTHUR
Euh…
L’Ange a pris la place de Rémi.
L’ANGE
C’est plutôt une bonne nouvelle pour Arthur. Seul, il n’oserait pas aller au festival, il aurait trop honte par rapport à ses collègues. Avec Rémi avec lui, c’est différent. Bien sûr, il n’est pas très proche de Rémi. La dernière fois qu’ils se sont vus, en décembre dernier, Arthur s’est rendu compte à quel point ils étaient devenus différents. Que décidez-vous ? Vous allez au festival avec Rémi ou vous restez le dimanche chez vous ?
Le DIEU a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Euh… je pense qu’il est préférable d’aller au festival.
Rémi a repris sa place.
RÉMI
En backstage à la Pépinière ! Mais c’est incroyable. Les meilleurs groupes d’Europe y jouent ! Donne-moi ton adresse, j’arrive avec les croissants et l’on y va !
Rémi et Arthur sont au festival. Ils vont de concert en concert. Rémi est hyper enthousiaste. Il danse, bière à la main, à chaque concert comme un fou, lorsqu’Arthur est plus réservé. Cannette de coca à la main.
Arthur et Rémi se retrouvent accoudé à un bar extérieur.
RÉMI
J’ai l’impression que ça ne va pas mec. Tu n’as même pas pris un verre alors que c’est fucking gratuit !
ARTHUR
C’est juste que j’ai une réunion importante demain matin.
RÉMI
J’ai une solution pour que tu t’éclates et que tu restes frais demain matin !
ARTHUR
Dis-moi.
Rémi montre un pochon de coke à Arthur.
RÉMI
Aucun risque de gueule de bois avec ça.
ARTHUR
Je ne suis pas sur…
L’Ange a pris la place de Rémi.
L’ANGE
Rémi n’est pas allé à Amsterdam que pour prendre des drogues douces. Que décidez-vous de faire ?
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Je n’en prends pas évidemment.
Rémi a repris sa place.
RÉMI
Comme tu veux, je t’offre au moins une bière.
ARTHUR
Haha. Facile à offrir, elles sont gratuites.
RÉMI
Madame, deux bières s’il vous plait.
On leur sert deux bières.
Rémi et Arthur rejoignent un concert et dansent.
Philipe Seydoux passe à côté d’eux, il est entouré par des employés. Arthur le montre à Rémi.
Ils continuent de danser.
Arthur se réveille, fatigué, il semble avoir mal au crâne. Il regarde son portable.
ARTHUR
Oh merde !
Arthur arrive en trombe dans la salle ou Phillipe et Clara attendent.
ARTHUR
Je vous prie de m’excuser
PHILIPPE (énervé)
C’est une blague j’espère.
ARTHUR
C’est que…
Arthur vomit sur la table.
PHILIPPE
C’en est assez. Je ne pensais pas que j’avais confié mon entreprise à des pochtrons. Je vous ai vu hier, faire le fou, bière à la main.
Il quitte la salle de réunion.
CLARA
Qu’est-ce que c’est que cette histoire Arthur !
ARTHUR
Je suis malade, c’est tout.
L’Ange a pris la place de Clara.
L’ANGE
Oui, vous n’avez bu qu’une bière, mais elle a été servie par une de mes employées. L’alcool était frelaté, un verre vous a suffi à avoir cette malheureuse gueule de bois. Philippe Seydoux va parler de cette histoire. Et vous serez viré. Encore perdu !
Les scènes se rembobinent jusqu’au moment où Arthur et Rémi sont accoudés au bar.
Arthur et Rémi sont accoudés au bar.
Rémi montre un pochon de coke à Arthur.
RÉMI
Aucun risque de gueule de bois avec ça.
ARTHUR
Je ne suis pas sur…
L’Ange a pris la place de Rémi.
L’ANGE
C’est soit ça soit la bière !
LE DIEU
Un tout petit peu alors.
Rémi a repris sa place.
RÉMI
Tu inquiètes, on va faire du microdosing.
Rémi et Arthur rejoignent un concert et dansent. Arthur danse beaucoup.
Philipe Seydoux passe à côté d’eux. Arthur va le voir.
ARTHUR
Bonjour Monsieur Seydoux, Arthur Garlot de chez KDK.
PHILIPPE SEYDOUX
Bonjour, mon garçon, vous vous amusez bien ?
ARTHUR
C’est un super évènement.
Arthur retourne danser avec Rémi.
Arthur est seul dans la salle de réunion. Son ordinateur projette sur l’écran une présentation avec le logo de Bar Flam Event. Il attend.
Clara arrive dans la salle de réunion, énervée.
CLARA
Qu’est-ce qui s’est passé hier ?
ARTHUR
De quoi tu parles ?
CLARA
Je viens d’avoir Philippe au téléphone. Il m’a dit qu’il t’a croisé les yeux éclatés par la drogue.
ARTHUR
Mais je…
L’Ange a pris la place de Clara.
L’ANGE
Oui, la coke était un peu forte. C’est nous qui l’avons fourni à Rémi quand il était à Amsterdam. Arthur ne sait rendu compte de rien, on avait réuni des agents autour de Philippe Seydoux pour qu’il pense que l’échange au festival se soit bien passé…. Mais la vérité c’est que c’était une catastrophe… Bref encore perdu.
Les scènes se rembobinent jusqu’à la scène où Arthur est au téléphone avec Rémi.
Dans un appartement avec quelques cartons et un matelas au sol, Arthur est au téléphone
ARTHUR
Désolé Rémi, ça va être compliqué de mon côté… Yes, on se catche quand je passe à Bordeaux.
Arthur, habillé normalement (sans costume), marche dans la rue, avec sa pochette d’ordinateur sous le bras. Il est au téléphone.
ARTHUR
Salut, Clara, je suis désolé de te déranger un dimanche, mais juste pour te dire que j’ai reçu un email de Philippe Seydoux, je vais mettre à jour la présentation. Je vais au bureau là, car j’ai un bug avec mon accès à distance.
Arthur arrive à son bureau.
ARTHUR (pour lui-même)
Je suis le seul abruti qui travaille un dimanche.
Son téléphone sonne. Il décroche.
Sur un terrain de golf avec un hôtel en fond, on voit Louis de Saint Julien au téléphone.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Salut, Arthur, je te dérange ?
ARTHUR
Salut Louis.
L’ANGE a pris la place de Louis de Saint Julien.
L’ANGE
Si Arthur avait refusé l’entretien d’embauche de Black Long Capital ou s’il n’était pas allé au festival, ça aurait mené à ce qui travaille ce dimanche. On a bloqué le logiciel d’accès à distance du réseau de sa boite. Il serait donc allé au bureau et comme ses collègues sont, soit à Londres, soit à Vincennes pour la Pépinière, il serait la seule personne disponible pour recevoir cet appel.
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
J’écoute.
Louis de Saint Julien a pris la place de l’Ange.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Enfin quelqu’un qui me répond ! Dis-moi, j’ai un problème avec l’accès à distance. Je suis à Saint-Raphaël, je viens de faire un tennis avec Sonia Badaoui, tu sais la fondatrice du Malgar Invest. Ses équipes travaillent sur le dossier d’Armony Sea. Elle veut faire cette acquisition absolument. C’est Solange, chez nous qui s’occupe de la vente. Va fouiller dans le dossier et envoie-lui les offres fermes qui ont déjà été reçues.
ARTHUR
Attend quoi ?
LOUIS DE SAINT JULIEN
Elle veut faire la meilleure offre, mais pas à n’importe quel prix. Elle veut voir les autres offres pour s’aligner sur les conditions clefs.
ARTHUR
Louis, je ne peux pas faire ça, si Solange ou quelqu’un chez Armony l’apprend, on risque gros.
LOUIS DE SAINT JULIEN
Si on ne lui envoie pas, Sonia BADAOUI ne sera plus cliente du cabinet et ça sera une plus grande perte. On n’a pas le choix. Envoie-lui directement, car ma boite de mail déconne depuis ce matin.
ARTHUR
Je ne suis vraiment pas sûr.
L’Ange a pris la place de Louis de Saint Julien.
L’ANGE
Il a tort quand il dit que vous n’avez pas le choix. Vous avez bien le choix.
Le Dieu a pris la place d’Arthur.
LE DIEU
Je pense que…
L’ANGE (le coupant)
Je vous arrête tout de suite. Quelle que soit votre décision, les conséquences sont sensiblement les mêmes. Si Arthur envoie l’email, les équipes d’Armony Sea seront mises au courant et il sera viré. S’il ne l’envoie pas, Sonia BADAOUI arrêtera toute collaboration, et Arthur sera aussi viré. Dans les deux cas, c’est perdu.
Arthur est triste. Il traverse l’open space. Tout le monde le regarde. Il donne son badge à l’entrée et prend l’ascenseur.
On revient dans le salon du Dieu.
L’ANGE
Parmi tous les chemins possibles, il n’y avait qu’une conséquence. Son licenciement.
LE DIEU
C’est peut-être ça la clef de la Société des Anges. Un système où les choix ne sont que des illusions. Je me demande si ce n’est vrai que pour les sujets.
L’ANGE
Que voulez-vous dire ?
LE DIEU
Est-ce que ça ne s’applique pas aux Dieux également ?
L’ANGE
Vous êtes libres d’être clients ou de ne pas l’être.
LE DIEU
Pas vraiment. On est comme attiré par son secret.
L’ANGE
Personne ne vous force à financer les missions.
LE DIEU
Vous ciblez précisément vos sujets pour qu’on le fasse.
L’ANGE
Vous êtes libres de suivre la chute des sujets.
LE DIEU
Voyons, vous vous savez coupables de notre addiction.
L’ANGE
Vous avez le choix de sauver le sujet ou d’arrêter d’un coup la mission.
(un temps)
LE DIEU
Vous devez vous douter que vous êtes là aussi pour ça.
L’ANGE
Vous avez encore le choix.
LE DIEU
Pour décider, j’ai besoin de la fin de votre récit.
La prochaine scène se déroule comme un jeu télévisé avec du public. Sur le plateau, JEAN-LUC RAYMOND anime l’émission où trois candidats, CHRISTIANE, ARMAND, et SYLVETTE sont derrière des buzzers.
Il y a une estrade où se tiendront chaque famille, et une autre, plus petite, en hauteur près de l’animateur, où se tiendront les ANGES
Un jingle se lance et le logo « TIC TAC BOOM LA FAMILLE » apparait.
Le public applaudit.
JEAN-LUC
Bonsoir à toutes et à tous, et bienvenue à TIC TAC BOOM LA FAMILLE, l’émission où les familles font…
Il tend le doigt vers le public.
LE PUBLIC
…TIC TAC BOOM !
JEAN-LUC
Je suis très content de vous retrouver ce soir avec trois candidats. La première, elle nous vient de Nîmes, je vous demande de faire un triomphe à Christiane.
Le public applaudit.
CHRISTIANE
Bonjour, Jean-Luc, bonjour public.
JEAN-LUC
Ça va Christiane, pas trop stressée ?
CHRISTIANE
Un peu.
JEAN-LUC
Ça va aller, j’en suis sûr. Le deuxième candidat, il nous vient d’Argentan, dans l’Orne, je vous demande d’applaudir bien fort Armand !
Le public applaudit.
ARMAND
Bonjour, Jean-Luc, bonjour à tous.
JEAN-LUC
On m’a dit que vous étiez très compétition Armand.
ARMAND
Oui, j’aime bien les jeux et j’aime bien gagner.
JEAN-LUC
Et bien bon courage, car face à vous, il y aura non seulement Christiane, mais aussi une troisième candidate qui est redoutable, elle nous vient de Pressac, en Nouvelle-Aquitaine je vous demande de faire du bruit pour Sylvette.
Le public applaudit.
JEAN-LUC
Bonjour Sylvette.
SYLVETTE
Bonjour Jean-Luc.
JEAN-LUC
Sylvette, j’ai dit que vous étiez redoutable, car vous avez déjà participé cinq fois à l’émission dont quatre fois en repartant victorieuse !
SYLVETTE
Oui, mais même quand j’avais perdu, j’avais passé un très bon moment.
JEAN-LUC
Et bien on espère que ce sera encore le cas aujourd’hui, car on accueille notre première famille et notre premier ange.
Une famille nombreuse, avec des gens de plusieurs générations, arrive sur l’estrade principale. Ils saluent le public. Au milieu d’eux, avec une étiquette sur le pull, se tient LOUISE (le sujet de la mission de JULIE qu’on avait vu dans le supermarché quand elle présentait son sujet à l’Ange et Victoire ) et sur la petite scène, avec son habit d’Ange, arrive Julie.
Jean-Luc se tient à côté de Julie.
JEAN-LUC (à Julie)
Une bien grande famille que vous nous avez apportée là, je ne vois même pas où est votre sujet.
JULIE
C’est la fille à droite.
Plan sur la famille, Louise lève la main, timide.
JEAN-LUC
Comment s’appelle-t-elle ?
JULIE
Louise.
JEAN-LUC
Et vous avez fait éclater toute cette famille.
JULIE
J’étais obligé, elle est très proche de ses oncles et tantes ainsi que ses cousins.
JEAN-LUC
Qu’est-ce qu’on peut dire pour mettre nos candidats sur la voie ?
JULIE
On peut dire que c’est une famille un peu bourgeoise, très aimante…
JEAN-LUC
Stop, n’en dites pas trop, car je sens que la réponse va vite être trouvée. (il s’adresse aux candidats) Christiane, Armand, Sylvette, vous connaissez la question… comment l’Ange ici présent a réussi à désunir cette famille ? J’attends vos propositions dans… (il pointe le public)
LE PUBLIC
Trois, deux, un, dynamite !
Les trois candidats appuient frénétiquement sur leur buzzer.
JEAN-LUC
Armand, c’est vous qui avez la main.
ARMAND
Vous avez révélé un secret de famille.
JULIE
Non.
Christiane et Sylvette continuent de buzzer frénétiquement.
JEAN-LUC
Christiane, vous avez la main.
CHRISTIANE
Vous avez retiré à une partie de la famille l’héritage qui lui était dû.
JULIE
Non, mais on s’approche.
JEAN-LUC
Sylvette ?
SYLVETTE
Vous avez promis à tous un héritage.
JEAN-LUC
Bonne réponse Sylvette.
Le public applaudit.
JEAN-LUC
Ça ne m’étonne pas que ce soit Sylvette qui ait trouvé, car c’est un grand classique. (à Julie) Dites-nous en plus.
JULIE
En effet, c’est une technique qu’on utilise souvent. On contacte un notaire en se faisant passer pour un généalogiste. On lui explique que toute la famille a hérité d’une grande somme d’argent, en l’occurrence ici 4 millions, mais que le testament indique que l’argent ne peut être versé si, et seulement si, ils se mettent d’accord sur une répartition juste.
JEAN-LUC
Et là, personne n’est vraiment d’accord sur ce qu’est une répartition juste, les tensions naissent et ça fait… (il pointe le public)
LE PUBLIC
TIC TAC BOOM LA FAMILLE !
JEAN-LUC
On passe à une nouvelle famille et à un nouvel Ange.
Frédéric Veltier et sa compagne Catherine apparaissent ainsi que les trois enfants de Frédéric Veltier qui ont la trentaine.
Victoire arrive sur la petite estrade.
JEAN LUC se tient à côté d’elle.
JEAN-LUC
Famille plus petite, et a priori plus classique, des parents et leurs trois enfants.
VICTOIRE
Pas vraiment. Les trois jeunes gens sont les enfants du monsieur (Frédéric Veltier lève la main) qui est mon sujet. Et à côté, c’est sa compagne.
JEAN-LUC
Et où est l’ex-femme.
VICTOIRE
Elle est décédée il y a quelques années déjà.
Le public fait « ohhhh ».
JEAN-LUC
Eh bien, on va voir si nos candidats vont trouverez comment vous avez séparé tout ce petit monde. Attention…(il pointe le public)
LE PUBLIC
Trois, deux, un, dynamite !
Les trois candidats appuient frénétiquement sur leur buzzer.
JEAN-LUC
C’est encore Armand qui prend la main en premier. On vous écoute.
ARMAND
Vous avez révélé un secret de famille.
JEAN-LUC
Il ne lâche pas son idée Armand !
Rire du public.
VICTOIRE
Non, ce n’est pas ça.
Christiane et Sylvette continuent de buzzer frénétiquement.
JEAN-LUC
Christiane, à vous !
CHRISTIANE
Vous avez rendu jaloux les trois enfants entre eux.
VICTOIRE (vers Jean-Luc)
Ah, c’est presque ça. J’aurais envie de l’accorder.
JEAN-LUC
Je suis d’accord avec vous. Je vous valide la réponse Christiane !
Le public applaudit.
JEAN-LUC
Donnez-nous un peu plus de détails.
VICTOIRE
Eh bien, depuis la mort de leur mère, le sujet a toujours passé beaucoup de temps avec ses enfants. Petit à petit, on l’a rendu moins disponible, mais grâce à de faux messages, on a fait croire à chacun qu’ils continuaient à passer du temps avec les deux autres. Ça a monté, ça a monté et…
JEAN-LUC
Et… (pointant du doigt le public).
LE PUBLIC
TIC TAC BOOM LA FAMILLE !
JEAN-LUC (à Victoire)
On vous remercie. Il est temps, déjà, d’accueillir la dernière famille de ce soir !
Le public applaudit.
Arthur arrive accompagner avec son frère et ses parents.
L’Ange se place sur la petite estrade à côté de l’animateur.
JEAN-LUC (à l’Ange)
Bon, alors je ne vais pas vous mentir… quand on m’a dit comment cette petite famille s’était séparée, je me suis dit « c’est bien pensé, c’est bien fait, mais je ne sais pas si nos candidats vont trouver si facilement ».
L’ANGE
Disons qu’il faut un peu de contexte.
JEAN-LUC
On vous écoute, présentez-nous cette petite famille.
L’ANGE
Alors vous avez déjà Arthur, le sujet de la mission.
JEAN-LUC
Arthur, qui vient de perdre son emploi.
L’ANGE
Tout à fait. Après vous avez ses parents. Ils sont actuellement au Sénégal à cause du travail de la mère, Caroline.
JEAN-LUC
Dites-nous en plus sur Caroline.
L’ANGE
Elle vient d’un milieu ouvrier des Landes assez défavorisé. Disons que toute sa vie , elle a beaucoup travaillé pour arriver là où elle en est.
JEAN-LUC
Quel est son métier ?
L’ANGE
Elle est ingénieur dans l’industrie pétrolière.
JEAN-LUC
Et le père ?
L’ANGE
Le père s’appelle Lionel. Il est issu d’une importante famille bourgeoise bordelaise. Avant même d’être né, il avait tellement d’argent et de contacts par sa famille qu’il ne pouvait faire qu’une grande carrière.
JEAN-LUC
Ce qu’il a fait ?
L’ANGE
Pas vraiment. Il le dit lui-même, il s’est toujours senti comme un imposteur avec tout le privilège qu’il avait. Il a longtemps été tenté par une carrière d’écrivain, mais n’a jamais osé assumer sa passion dans un milieu qui ne voyait pas d’un très bon œil les gens qui ne se lèvent pas tôt le matin pour travailler. Il s’est donc tourné vers le journalisme, mais le nom de ses parents lui ouvrait si facilement des portes qu’il n’a jamais cru assez en lui pour y arriver.
JEAN-LUC
Bon, je pense que nos candidats en savent assez. Vous êtes prêts ? (il se tourne vers le public)
LE PUBLIC
Trois, deux, un, dynamite !
Les trois candidats appuient frénétiquement sur leur buzzer.
JEAN-LUC
Armand, si vous me parlez de secret de famille, je quitte l’émission !
Rire du public
ARMAND
Non, non. Vous avez poussé les parents au divorce sur la base de leurs différences.
L’ANGE
Alors ce n’est pas officiellement un divorce, c’est une séparation. Et c’est plus une conséquence qu’une cause.
Christiane et Sylvette continuent de buzzer frénétiquement.
JEAN-LUC
Sylvette, on vous écoute.
SYLVETTE
Vous avez poussé le sujet à faire une bêtise particulière. Et les parents ont réagi différemment à cet évènement.
L’ANGE (regardant Jean Luc)
C’est proche de la réponse, mais ce n’est pas tout à fait ça.
JEAN-LUC
Je suis désolé Sylvette, je ne peux pas vous l’accorder. Je vois Christiane qui martyrise son buzzer, on vous écoute.
CHRISTIANE
Vous avez poussé le frère à faire une bêtise particulière. Et les parents ont réagi différemment à cet évènement.
JEAN-LUC
C’est une bonne réponse de Christiane. On l’applaudit ainsi que Sylvette qui l’a mise sur la voie.
Le public applaudit.
JEAN-LUC (à l’ANGE)
Bon, maintenant qu’on a dit ça… il faut nous en dire un peu plus.
L’ANGE
Ce qui saute aux yeux, et le premier candidat l’a très bien vu, c’est que les parents ont eu un parcours très différent. Ce qui les différencie précisément, c’est la notion de mérite. Pour la mère, c’est une valeur fondamentale, qui a construit son parcours, lorsque pour le père, c’est presque une qualité impossible à atteindre. On a donc poussé leur fils cadet, Maxime, à faire quelque chose à l’opposé du mérite pour que cette faille sépare cette famille.
JEAN-LUC
Et ça a fait…
LE PUBLIC
TIC TAC….
La scène se coupe.
L’Ange est debout derrière son bureau. Leila entre.
LEILA
Tu m’as appelé ?
L’ANGE
Oui. Je voudrais savoir si je pouvais libérer l’email de l’école du frère ?
LEILA
Je check, et je te dis.
On suit Leila dans l’open-space parlé à ses employés.
Elle s’approche d’une employée (ASSA) qui a une pile de livres sur son bureau.
LEILA
Dis-moi Assa, sur la liseuse du frère ça avance toujours comme tu veux.
ASSA
Oui, il lit toujours beaucoup. Rien que cette semaine il a lu « Redéfinir les règles de sa vie » de Mario Belero, « Apprendre à voir en dehors du cadre » de Coline Guérin, « Les autres chemins possibles » de James Mayers. Tout ce que je mets en avant sur sa liseuse, il le dévore.
LEILA
Ok good. Et il n’y avait pas une histoire d’article ?
ASSA
Si, un article clickbait qui compare le cout d’un tour du monde par rapport à une année en école de commerce. Je l’ai envoyé à Gwladys.
LEILA
Merci.
Leila va jusqu’au poste d’Hilaire.
LEILA
Hilaire, tu gardes toujours un œil sur les contenus du frère ?
HILAIRE
Ouais bien sûr. Côté YouTube, on continue de lui faire des suggestions, surtout des TedTalks, sur les plateformes de streaming, il regarde que des documentaires de voyages. On lui en a mis un avant il y a deux mois, et il a rapidement pris l’habitude d’en regarder un par soir.
LEILA
OK merci.
LEILA se tourne vers Gwladys.
LEILA
Dis-moi, tu as reçu l’article écrit par Assa ?
GWLADYS
Oui. On a réussi à le rendre viral.
LEILA
Est-ce que Maxime, le frère, l’a consulté ?
GWLADYS
Oui, il l’a même partagé sur un groupe Whatsapp qu’il a avec des amis d’école.
LEILA
Parfait.
LEILA va jusqu’au bureau d’Astrid.
LEILA
Astrid, tu as le rapport que je t’ai demandé sur Maxime ?
ASTRID
Oui, je viens de te l’envoyer par email, mais je peux te le résumer si tu veux ?
LEILA
Je t’écoute.
ASTRID (en regardant ses notes)
Comme on en avait déjà parlé, il passe son temps en soirée à dire des phrases comme « Parfois, je me demande pourquoi on ne se barre pas, c’est le meilleur moment de notre vie pour le faire », ou : « Bien sûr qu’on ne nous apprend rien dans nos études, si l'on veut apprendre des trucs, il faut prendre une année pour réaliser ses propres projets ». Avec son copain, ils échangent des articles de blogs sur « comment bien voyager », « comment rencontrer les locaux en road-trip », « les erreurs à éviter lorsqu’on voyage ». Et d’après ce qu’ils disent, ils économisent pour « partir loin et découvrir le monde ».
Leila va au bureau d’Alan.
LEILA
Alan, deux questions.
ALAN
Dis-moi.
LEILA
Tout d’abord est-ce que c’est vrai que Maxime et son copain économisent ?
ALAN
Un peu, mais ils n’ont pas encore mis des fortunes de côté. Ils sortent moins, ne vont plus manger à l’extérieur, le copain a trouvé un job à mi-temps en tant que vendeur.
LEILA
OK. Et le virement de la mère vers l’école de commerce il est toujours en standby.
ALAN
Oui. L’école ne l’a pas reçu, et ne le recevra pas, mais par contre il faut se dépêcher de renvoyer la somme sur le compte de la mère et d’indiquer que le virement a été refusé, sinon la banque va suspecter une fraude et ça peut être compliqué pour la suite. Il ne nous reste pas plus de 12h, je pense.
LEILA
T'inquiètes, je pense qu’on va le renvoyer en fin de matinée. Je te confirme ça, merci.
Leila revient dans le bureau de l’Ange.
Leila ouvre la porte et se penche dans le bureau.
LEILA
Le frère est prêt.
L’ANGE
Parfait, je débloque l’email. Merci.
Leila sort. L’Ange appuie sur le clavier de son ordinateur.
L’ANGE (pour lui-même)
Trois, deux, un, dynamite…
Caroline, la mère, est au téléphone. Elle a son ordinateur ouvert devant elle.
CAROLINE
Oui mon chéri, c’est Maman. Ça va ? Je te réveille ? Dis voir, je ne sais pas pourquoi, j’ai essayé de payer ton école, mais le virement ne passe pas. Surement parce que je suis au Sénégal… Ouais… Du coup, je vais faire le virement sur ton compte et tu feras le virement à ton école… Je t’envoie le RIB en parallèle… Si tu as des frais en plus, tu me dis… Bon je te laisse. Préviens-moi quand tu as fait le virement… Je t’embrasse, mon chéri. Passe le bonjour à Victor.
Maxime a son portable à la main, assis sur son lit. Derrière lui, Victor se redresse du lit, l’air endormi et l’enlace.
VICTOR
C’était qui ?
MAXIME
Ma mère.
VICTOR
Elle va bien ?
MAXIME
Elle va me faire un virement de 8 000€.
VICTOR
C’est sympa ça.
MAXIME
C’est pour payer l’école.
VICTOR
Ah, moins sympa. C’est dommage, 8 000€ ça aurait pu être utile pour notre projet.
MAXIME
Et pourquoi ça ne le serait pas ?
VICTOR
Qu’est-ce que tu veux dire ?
MAXIME
Quitte ton job et fais tes affaires. Ce week-end, on part enfin.
VICTOR (content)
Tu rigoles ? Mais c’est la folie ! Mais tes parents ?
MAXIME
Ils comprendront… ou pas.
Ils s’embrassent.
Lionel prépare à diner, Caroline arrive fatiguée.
CAROLINE
C’est un calvaire le trafic en ce moment.
LIONEL
Bonsoir.
CAROLINE
Ça va ?
LIONEL
Tu as vu l’email de Maxime ?
CAROLINE
Non pourquoi ?
Lionel présente son iPad à Caroline. Elle lit, puis s’énerve.
CAROLINE
C’est une blague ! Il se fout de notre gueule !
LIONEL
Calme-toi.
CAROLINE
Mais comment ça me calmer ?
LIONEL
Bon, il n’au…
CAROLINE (le coupant)
Je vais l’appeler.
Elle sort son téléphone et l’appelle. Ça sonne dans le vide.
LIONEL
Il dit dans son email qu’il ne répondra pas au téléphone… pas tout de suite en tout cas.
CAROLINE
Attends, il y a un truc que je ne comprends pas là. J’ai l’impression que ça ne te fait rien ce qui se passe.
LIONEL
Ce n’est pas si grave…
CAROLINE
Comment ça pas si grave ? C’est du vol. Tu te rends compte de ça.
LIONEL
Ce n’est pas du vol. Tout de suite les grands mots.
CAROLINE
Évidement toi, tu as tellement eu l’habitude de recevoir de l’argent de tes parents, que 8 000€ prit par ton fils, ça ne te dérange pas. Tu veux que je te dise. Le problème c’est qu’à cause de toi, on a élevé des petits-bourgeois.
LIONEL
Peut-être que si tu avais passé moins de temps à travailler et plus de temps à voir tes enfants grandir, tu aurais pu les élever à ta façon.
CAROLINE
Je ne te permets pas. C’est moi qui me suis occupé de tout chez nous. Ce n’est pas parce que je n’étais pas dans le schéma de femme au foyer si cher à tes parents que je n’ai pas tout donnée pour ma famille.
LIONEL
Arrête avec mes parents.
CAROLINE
Ah oui j’oubliais ta règle d’or : on ne crache pas dans la main qui nous a nourris.
LIONEL
Je n’ai jamais rien demandé à mes parents.
CAROLINE (ironique)
Oh pardon ! Le pauvre petit enfant qui a toujours tout eu et qui s’en plaint. Tu n’as jamais dit non à ce que je sache.
LIONEL (sec)
Tu as raison et parfois j’aurais dû.
CAROLINE
Qu’est-ce que tu veux dire ?
LIONEL
Que j’ai toujours suivi les autres, et parfois j’aurais pas dû. Notamment quand tu m’as forcé à aller dans ce pays pourri où je m’emmerde.
CAROLINE
Je ne t’ai pas forcé. Va, la porte est ouverte. Va faire un tour du monde comme ton fils. Avec quel argent par contre ? Le mien, celui de tes parents ? Tu veux peut-être que je te fasse un virement de 8 000€ ?
LIONEL
Je n’ai pas besoin de toi. Figure-toi qu’un journaliste du New York Times est tombé sur mes articles de blog et il a adoré ma plume. Il propose de m’embaucher comme pigiste.
CAROLINE
De pauvres petits posts de blogs ont été lus par quelqu’un du New York Times ? C’est une blague.
LIONEL
Dès que ça ne passe pas par toi, dès que ce n’est pas contrôlé par toi, tu penses que c’est une blague, que c’est absurde. Tu vois, je comprends de qui notre fils veut s’échapper. Ça fait des années que j’aurai dû faire pareil.
Il va dans la chambre, sort avec un sac d’affaires, prend son passeport sur la commode de l’entrée et sort de l’appartement en claquant la porte.
Arthur est en caleçon/ t-shirt, assis sur son matelas qui est toujours sur le sol. Dans le reste d’appartement, on voit des cartons de pizzas et quelques bières.
Il tient son téléphone dans la main et écoute sa mère en hautparleur.
CAROLINE
Je vais te dire. Ton père et ton frère, ce sont des parasites. Ils sont différents de nous deux. Ils ne connaissent pas la valeur travail. Des gens comme nous ça ne nous viendrait pas à l’idée de dépendre des autres pour se construire.
ARTHUR
Maman, je dois te laisser… j’ai dû taf…
CAROLINE
Je t’embrasse, mon chéri.
Leila, Camille, Marius et l’Ange sont assis autour de la table et regarde l’écran où l’on voit un échange Facetime entre Arthur et son père.
Son père est à l’aéroport et Arthur est dans son lit.
LIONEL
Je ne vais pas te dire que ce qu’a fait ton frère est une bonne chose… mais disons que je le comprends. Il veut vivre sa vie, sans nous demander notre avis, et je trouve ça très beau. J’ai mis du temps à le comprendre, mais je sais aujourd’hui qu’on ne peut être fier que de ce qu’on a fait par soi-même, sans aide des autres. Surtout dans les moments difficiles. C’est dur, mais sur le long terme, on en sort victorieux. C’est uniquement ainsi que l’on se construit. Et toi ça va ? Tu n’es pas au travail aujourd’hui ?
ARTHUR
Euh non… j’ai pris une journée off pour… pour aider Antoine a déménager.
LIONEL
Ah super. Passe-lui le bonjour. Bon, je te laisse mon avion va bientôt partir.
La conversation sur l’écran s’arrête. L’écran diffuse une vidéo d’Arthur dans son appartement.
L’ANGE (pour lui—même)
Tic tac… Boom la famille.
MARIUS
Qu’est-ce que tu dis ?
L’ANGE
Rien. Bon, on va maintenant rentrer dans la dernière ligne droite. Marius, tu vas commencer à licencier une bonne partie de l’équipe. Je t’ai envoyé une liste par email. Tu fais ça progressivement, tu leurs files une dernière mission à chacun qui n’a rien avoir et tu leur donnes un gros bonus lors de leur départ.
MARIUS (regardant son ordinateur)
Tu veux te séparer de tout ce monde ? On n’aura pas besoin d’eux pour la seconde partie.
LEILA
Ça demande moins d’effort de redonner à un sujet sa vie que de la détruire.
L’ANGE
Pour ceux qui ne sont pas dans la liste, tu les mets en vacances forcées.
MARIUS
Comme tu veux.
L’ANGE
Maintenant que le sujet est seul chez lui, sans emploi, et coupé de sa famille et de ses amis. On va commencer le relais. On va se faire des gardes de 6 à 8 heures. Vous notez bien tout ce qui se passe. Camille, tu commences ?
CAMILLE
Pas de problème.
MARIUS (en se levant)
Ah les relais, j’adore. Je vais aller chercher un fauteuil confortable et un petit frigo pour qu’on soit bien.
Leila, Marius et l’Ange quittent la salle. Camille sort un cahier de notes, un stylo et se tourne vers l’écran où on voit Arthur.
L’Ange arrive.
La salle a un peu changé. Camille est assise sur un fauteuil confortable. Sur la table à côté, un soda est entamé.
Sur l’écran, on voit Arthur allongé dans son lit devant son ordinateur.
L’ANGE
Alors ?
CAMILLE
Il est allé chercher un kebab et des bières et il a passé la soirée à regarder des vidéos YouTube de gaming.
Marius rentre.
L’Ange est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur dormir.
MARIUS
Big night ?
L’ANGE
Il a peu dormi. Il a maté du porno, a essayé de se coucher, puis a finalement regardé des best of de match de catch.
LEILA rentre.
Marius est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur cuisiner.
LEILA
Pas trop long ?
MARIUS
Non. Il a fait des courses. Il a de quoi manger des burgers pour une semaine. Et il s’est acheté un paquet de clopes.
LEILA
Ah oui, j’avais vu qu’il avait repris.
CAMILLE rentre.
LEILA est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur devant son ordinateur.
CAMILLE
Salut.
LEILA
Salut.
CAMILLE
Alors ?
LEILA
Il a bu 7 ou 8 bières dans la soirée et a fumé une dizaine de clopes.
CAMILLE
Magnifique soirée…
L’ANGE rentre.
Camille est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur dormir.
L’ANGE
Bonjour.
CAMILLE
Bonjour.
L’ANGE
Nuit calme ?
CAMILLE
Mouais. Il a regardé un film d’action et a essayé de dormir sans succès. Il vient juste de s’endormir.
Marius rentre.
L’Ange est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit manger un kebab.
MARIUS (en regardant l’écran)
Sacré gouter qu’il prend là.
L’ANGE
Et pour une fois, il a pris son kebab sans bière.
MARIUS
Il n’en a plus dans son frigo.
L’ANGE
Non, et il n’en a pas racheté.
MARIUS
Ça t’inquiète ?
L’ANGE
Au contraire.
LEILA rentre.
Marius est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur boire un Get27 en écoutant de la musique.
LEILA
Dis donc, il s’ambiance !
MARIUS
Il a passé la soirée à siroter des Get27. Il avait une bouteille qui trainait dans ses cartons.
CAMILLE rentre.
LEILA est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur dormir
LEILA
Enfin te voilà. Il ne s’est rien passé. Il s’est endormi à minuit trente et il dort toujours. J’en peux plus.
L’ANGE rentre.
Camille est dans le fauteuil.
Arthur mange des céréales en regardant une série.
L’ANGE
Il s’est enfin réveillé ?
CAMILLE
Ouais, il y a quatre heures. Ça doit être les Get27 d’hier qui l’ont aidé à enfin dormir.
Marius rentre.
L’Ange est dans le fauteuil.
Arthur sirote un whisky en regardant son ordinateur.
MARIUS
Alors, il a pensé à faire des courses aujourd’hui ?
L’ANGE
Il a pris whisky et Get.
LEILA rentre.
Marius est dans le fauteuil.
Sur l’écran Arthur dort.
MARIUS
Ah te voilà. Il a passé son temps à dormir.
LEILA
Ça m’était arrivé la nuit dernière. C’est chiant à regarder.
CAMILLE rentre.
LEILA est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur cuisiner en dansant, un verre à la main.
CAMILLE
Il est déjà saoul ?
LEILA
Ouais, il a attaqué dès midi.
L’ANGE rentre.
Camille est dans le fauteuil.
Sur l’écran, Arthur dort sur matelas.
L’ANGE
Il dort depuis longtemps.
CAMILLE
Deux heures et demie.
Marius rentre.
L’Ange est dans le fauteuil.
Arthur est allongé sur son lit, les yeux grands ouverts.
MARIUS
Il ne dort pas le pépère ?
L’ANGE
Non. Il s’est réveillé à 3heures et il n’a pas pu se rendormir. Par contre, il a enfin cliqué sur les publicités pour les somnifères qu’on lui a mis en avant.
LEILA rentre.
Marius est dans le fauteuil.
L’appartement est vide.
LEILA
Il n’est pas là.
MARIUS
Non, il est allé se promener.
LEILA
Rien de spécial.
MARIUS
Si, il a commandé des somnifères.
CAMILLE rentre.
LEILA est dans le fauteuil.
Sur l’écran, on voit Arthur regarder un film.
CAMILLE
Quelles ont été ses activités de la soirée ?
LEILA
La classique : clope, alcool et vidéos YouTube.
L’ANGE rentre.
Camille est dans le fauteuil.
Sur l’écran, Arthur dort.
CAMILLE
Rien de spécial.
Marius rentre.
L’Ange est dans le fauteuil.
Arthur mange une pizza.
L’ANGE
Il a reçu les somnifères.
Plusieurs plans s’enchainent de l’appartement d’Arthur, où il boit, mange de la junk food, regarde des vidéos et fume des cigarettes.
Les plans s’accélèrent.
Dans le noir, un téléphone sonne. L’Ange allume la lumière. Il est dans son lit. Il dormait. Il met son téléphone en hautparleur.
L’ANGE
Je t’écoute.
LEILA
Je crois que c’est le bon soir. Il a bu une bouteille de whisky et pris deux somnifères.
L’Ange regarde sa montre.
L’ANGE
Il les a pris quand ?
LEILA
Il y a trente minutes.
L’ANGE
Nathan et Marius sont disponibles ?
LEILA
Ils se tiennent prêts, on attend ton go.
L’ANGE
Yes, dis-leur que c’est bon. Je te retrouve au bureau.
Plan rapproché d’Arthur qui dort profondément sur son matelas.
Le sol est plein de papier de kebab/pizzas.
On voit près de sa tête une bouteille de whisky entamé et un cendrier plein de cigarettes.
Une main pousse délicatement la bouteille de whisky contre le sol, trempe un papier dans le whisky qui se verse au sol. Il prend un mégot, l’allume avec un briquet et le jette au sol.
Une flamme démarre.
On entend que les voix de Marius et Nathan, le plan est toujours sur Arthur.
NATHAN
J’ai une question à te poser Marius.
MARIUS
Je t’ai dit que je n’aimais pas quand tu me posais des questions ?
NATHAN
Non, mais celle-là, elle est facile.
MARIUS
Je t’écoute.
NATHAN
Ça ne te manque pas de faire des opérations de terrain comme celle-ci ?
MARIUS
Oh tu sais, j’ai évolué. Maintenant que je suis directeur des ressources humaines, je ne peux plus me permettre de m’amuser comme toi.
Des pompiers sont en bas de l’immeuble.
Arthur est évacué sur civière.
On voit Marius et Nathan qui regardent la scène de loin.
MARIUS (à Nathan)
Après, ça me fait du bien de revenir sur le terrain de temps en temps.
On revient sur le plan de l’Ange assis par terre contre un mur.
L’ANGE
Dans une mission, on peut toujours aller plus loin. Tant que le Dieu ne nous dit pas de passer à la deuxième phase de la mission, on continue. On détruit bloc par bloc la vie du sujet. Après, il y a toujours un point de bascule clef qu’il ne faut pas rater. Si le sujet n’est pas prêt, toute la mission peut s’écrouler. À chaque mission, avant sa descente aux enfers, je fais toujours passer un test au Sujet pour m’assurer qu’au fond des abysses, il n’aura pas la force de relever la tête.
La salle de réunion est aménagée normalement.
Autour de la table, il y a Marius, Leila, Camille et l’Ange.
L’ANGE
Arthur a passé douze heures à l’hôpital. Et là, il est dans un hôtel du 19e, payé par son assurance. Ils attendent un rapport d’expert pour voir la cause du départ de l’incendie.
MARIUS
Tout ce qu'ils vont voir c’est qu’il a mis le feu à l’appartement avec sa clope…
CAMILLE
Dans quel état est l’appartement ?
L’ANGE
Irrécupérable. On avait fragilisé la structure avant de lui vendre. Le toit s’est donc effondré. (se tournant vers Camille) C’est quoi la première estimation de ce qu’il va devoir à la copropriété ?
LEILA
Minimum 200 000€.
L’ANGE
Pour le dernier test, il faudrait qu’il croise un de ses anciens amis. Mais je ne sais pas qui. Camille, tu peux nous passer les récaps ?
Camille donne à chacun un gros classeur avec des fiches et des photos.
CAMILLE
On a fait une fiche de ses principaux anciens amis. On a essayé d’être le plus complet possible, mais évidemment, on peut s’aider de la base de données pour avoir des informations plus précises.
L’ANGE
Merci. Bon, quelles sont vos propositions ?
MARIUS (montrant la fiche d’Antoine)
Antoine, son ancien coloc ?
L’ANGE
Non, trop proche.
LEILA (montrant la fiche de Loïc)
Loïc ?
L’ANGE
Ils ne sont pas si proches, mais leurs mères sont très amies.
CAMILLE(montrant la fiche de JEAN et JÉRÔME)
Pourquoi pas quelqu’un de son travail ? Comme Jean ?
L’ANGE
Non, ce nous révèlera rien.
LEILA
Et pourquoi pas une fille de son ancien groupe de potes. (cherchant dans son classeur) Pas Sophie, mais comment elle s’appelle déjà ?
CAMILLE
Manon ?
LEILA
C’est ça.
L’ANGE
C’est une bonne idée.
LEILA (décrochant sa fiche)
Ah je l’ai. Référence 2502
Les autres tournent leurs classeurs jusqu’à cette fiche.
L’ANGE
Maintenant, faut voir comment on s’y prend. Sachant qu’on pourra faire bouger le Sujet autour de son hôtel, mais pas beaucoup plus loin.
LEILA
Vu où elle habite et où est son lieu de travail c’est pas évident.
MARIUS
Je vois qu’elle fait pas mal d’apéros avec ses collègues. Il n’y en a pas une qui habite dans le coin ?
CAMILLE (consultant son ordinateur)
Si. À 300 mètres.
MARIUS
On planifie une soirée chez elle, et quand Manon y va, sur le chemin, elle croise Arthur.
L’ANGE
Ça va être trop compliqué à organiser.
CAMILLE (toujours sur son ordinateur)
J’ai un truc. Je vois dans son agenda qu’elle va à un spectacle de danse au théâtre de la colline jeudi prochain à 20h. Elle a prévu de faire du télétravail ce jour-là, donc elle partira de chez elle.
L’ANGE
Tu peux afficher un plan.
Sur l’écran, un plan de Paris apparait avec un point dans le 9e arrondissement et un point au niveau du théâtre de la colline.
L’ANGE
OK. Ce sont quoi ces modes de transports ?
LEILA (regardant la fiche)
Métro, scooters électriques en libre-service ou vélibs.
L’ANGE
Pas de Uber ?
LEILA
A priori pas à cette heure-là.
L’ANGE (montrant sur la carte)
OK, si elle prend le métro on la bloque à cette station et on lui fait apparaitre des scooters ou des vélibs dans cette zone.
MARIUS
C’est Nathan qui va être content, il adore bloquer les métros.
Hall d’un petit hôtel parisien, à l’ancienne.
Arthur passe devant le concierge, Marcelo.
ARTHUR
Bonjour.
MARCELO
Bonjour jeune homme
Arthur sort de l’hôtel.
Arthur sort d’un supermarché avec une grande bouteille de bière et un paquet de chips. Manon, pressée, le croise.
MANON
Arthur !
ARTHUR
Ah Manon.
MANON
Comment ça va ? Tu habites le quartier maintenant ?
ARTHUR
Oui, oui. J’ai acheté un… un duplex un peu plus haut.
MANON
Un duplex ? La folie.
ARTHUR
Et toi qu’est-ce que tu fais là ?
MANON
Je vais à un spectacle de danse dans le 20e. Ça fait longtemps qu’on ne t’a pas vu. Tu travailles toujours autant ?
ARTHUR
Oui. Je suis même passé partner. C’est cool.
MANON
Et ça va, tu arrives à sortir un peu ?
ARTHUR
Ouais, je sors pas mal avec mes collègues, on est une grande bande. (il montre sa bière) d’ailleurs, je dois les retrouver. À plus.
Il s’en va.
On revient dans le salon du Dieu.
L’ANGE
Les mensonges d’Arthur à ce moment-là m’ont permis de confirmer que c’était fini. La mission était bien maitrisée, je pouvais passer à la suite.
Arthur est dans sa chambre en regardant une série sur son ordinateur.
Son téléphone sonne. Il le met en hautparleur.
INÈS LEROUX (depuis le téléphone)
Bonjour Monsieur Garlot, Inès Leroux des Assurances Mauriez, vous avez 5 minutes à m’accorder.
ARTHUR
Je vous écoute.
INÈS LEROUX
Voilà, on a reçu le rapport de l’expert. Et il est très clair : il s’agit d’un feu intentionnel.
ARTHUR
Qu’est-ce que vous voulez dire, quelqu’un a mis le feu à mon appartement ?
INÈS LEROUX
Non… l’expert en est arrivé à la conclusion que vous avez mis le feu vous-même à votre appartement.
ARTHUR
Mais… mais…
INÈS LEROUX
Conformément à l’article 18 du contrat que vous avez signé, nous ne procéderons à aucun remboursement et nous ferons une saisie sur vos comptes à hauteur des montants que nous avons avancée. Vous avez des questions ?
ARTHUR
Mais… mais…
INÈS LEROUX
Je vous remercie.
ARTHUR reste figé, son téléphone à la main.
Son téléphone sonne une nouvelle fois.
ARTHUR
Allo ?
AYMERIC PEZERIN
Bonjour Monsieur Gayot, je suis Aymeric Pezerin votre conseiller bancaire.
ARTHUR
Ah…
AYMERIC
Nous avons reçu le rapport d’expertise de votre compagnie d’assurance. On va devoir, vous le comprenez bien, bloquer vos comptes dans la mesure où vous êtes débiteurs de centaines de milliers d’euros.
ARTHUR
Euh…
Arthur raccroche, il fait son sac et sort de sa chambre.
Arthur passe devant le concierge qui l’interpelle.
MARCELO
Dis donc jeune homme. Votre assurance n’a pas payé la nuit dernière. Vous pouvez la régler.
ARTHUR
Euh oui…
Il sort sa carte bleue et essaye de payer, mais ça ne passe pas.
ARTHUR
Je dois aller retirer, c’est à cause d’un bug que m’a expliqué ma banque. Je reviens.
Arthur sort de l’hôtel en courant.
Au premier plan, on voit l’Ange avec de grosses lunettes.
Il a une oreillette.
L’ANGE (à son oreillette)
OK, il vient de sortir, il descend vers Belleville.
Pendant plusieurs plans, on voit L’ANGE suivre ARTHUR dans Paris.
Les plans s’enchainent de jour comme de nuit.
Le soleil commence à se coucher. Arthur est seul dans un parc, assis sur un banc.
On voit L’ANGE l’observer de loin. Il a une tablette devant lui et une oreillette.
L’ANGE (à son oreillette)
Ok Camille, si tu prends la caméra qui est devant moi.
On voit une caméra de surveillance devant l’Ange et sur sa tablette ce que cette caméra filme Arthur sur son banc.
L’ANGE
Parfait. Tu diffuses ça.
Marius le rejoint.
MARIUS
Salut.
L’ANGE
Salut.
Un temps.
MARIUS
Pourquoi tu penses qu’il est parti aussi loin de Paris ?
L’ANGE
Il avait peur d’y croiser quelqu’un qu’il connait. Dans une ville du Val-de-Marne comme ici, il peut faire la manche en anonyme.
MARIUS
On ne passe toujours pas à la suite ?
L’ANGE
Non. J’attends la validation du Dieu.
MARIUS
Tu as l’air fatigué, rentres chez toi. Je vais le surveiller pour cette nuit.
L’ANGE
Tu as peut-être raison, c’est mieux. (lui passant les lunettes). S’il sort du parc, tu enfiles ça. Ça filme en continu.
MARIUS (regardant Arthur)
Il n’a pas l’air bien.
L’ANGE
Il a pas mangé de la journée. Bon j’y vais. Tu m’appelles s’il y a un problème.
L’Ange s’en va.
Marius observe Arthur.
MARIUS
Pauvre gosse.
Après un temps.
MARIUS
Oh et puis merde.
Marius avance vers Arthur. Arthur tend la main vers lui.
ARTHUR
Bonjour, Monsieur, vous ne pourriez pas me dépanner d’un peu d’argent.
MARIUS
Si tiens.
Marius tend un billet de 50€ à Arthur.
ARTHUR
Merci monsieur.
Marius s’en va. Arthur met le billet dans sa poche et sort du parc.
Arthur s’assoit sur un banc avec un kebab à la main. Il commence à le manger.
Un groupe de jeunes punks l’approche.
PAWEL
Dis donc, c’est un nouveau petit gars dans le secteur j’ai l’impression.
ERYK
Il a réussi à ramener un peu d’oseille dès sa première journée.
IGOR
Faudrait peut-être penser à partager.
Ils commencent à lui donner des coups sur la tête.
Arthur baisse la tête.
Ils l’attaquent plus violemment. Arthur est au sol se protégeant la tête avec les bras.
Un vieux SDF (MAURICE), avec son caddie, fonce vers eux.
MAURICE
Bande de vermines ! Vous n’avez pas honte.
Le groupe de punks s’en va en rigolant.
Maurice se rapproche d’Arthur.
MAURICE
Ça va mon garçon. Ils ne t’ont rien fait.
Arthur ne dit rien. Il se rassoit. Il garde la tête baissée.
MAURICE
Ce sont des débuts dans la rue. Ça se voit, ça se sent. Je m’appelle Maurice. Et toi ?
ARTHUR
Arthur.
MAURICE
Dis-moi Arthur. Tu sais ce qu’ils te voulaient ces voyous.
Arthur tend la main et montre les deux billets de 20 qui lui restent.
MAURICE
Ah, je vois. Tiens, prends de l’eau. C’est normal, ils cherchaient à acheter du crack. Tout le monde ici court après ça. Tu as déjà essayé, mon garçon ? C’est formidable, ce truc. Je t’envie, tu sais. Rien n’est mieux que la première fois que tu en prends. Ça te sort de toi, ce machin, et comme tu peux t’imaginer, on a tous besoin de se sortir de soi quand on est dans ce monde-là.
Arthur et Maurice restent en silence.
MAURICE
Tu sais ce qu’il faudrait qu’on fasse ? Qu’on aille voir Tigrou pour lui en acheter. Ça sera sympa, on va se faire un trip rien que nous deux.
Arthur ne dit rien, il baisse la tête.
MAURICE
Tu n’es pas très sympa, comme garçon, dis-moi. Je te sauve et c’est comme ça que tu me remercies. Tu veux que je rappelle la horde de fous qui t’a ravagé le visage ? Je te demande juste de me suivre dans le parc et on rencontre Tigrou, tu vas voir, c’est un copain.
Maurice tire Arthur par le bras violemment.
MAURICE et Arthur arrivent près d’un vieil homme assis sur un banc (TIGROU). Maurice tire toujours Arthur par le bras.
MAURICE
Salut Tigrou. Ce jeune homme a 40 balles et nous offre un trip. Tu as quoi pour nous ?
TIGROU
C’est son premier voyage vers l’au-delà.
MAURICE
Je crois.
TIGROU
Il faut donc de la douceur. Montre-moi l’argent.
MAURICE (à Arthur)
Donne-lui.
Arthur tend le bras et donne les billets.
TIGROU
Tiens mon enfant. Bienvenue au royaume de la lumière.
Il tend une pipe à crack à Arthur. Arthur la prend.
MAURICE
Inspire un bon coup pendant que j’allume.
Maurice pousse la main d’Arthur pour qui mette la pipe dans sa bouche et allume son briquet. Arthur inspire.
Le plan se rapproche de plus en plus près d’Arthur.
ARTHUR
J’ai chaud. J’ai vraiment chaud.
MAURICE
C’est normal. C’est la fumée qui te monte au cerveau. Allonge-toi.
Arthur s’allonge.
ARTHUR
Je sens le sang circuler dans mon corps, l’herbe coupée sous mes doigts, le vent dans mes cheveux…
MAURICE (la voix est lointaine)
C’est que tout se passe bien. Profite !
ARTHUR
Vous ne comprenez pas. Jamais je n’ai vécu une telle expérience. Je sens mon sang affluer à mon cerveau et lui apporter l’oxygène nécessaire. C’est extraordinaire. Mon cerveau se concentre sur ce que je n’avais jamais vu avant.
Un temps passe où l’on voit Arthur apprécier ce qui lui arrive.
ARTHUR
Je comprends les causes et les conséquences. Le vrai et le faux.
Le plan ne montre plus qu’Arthur en plan rapproché.
ARTHUR
Je comprends les vérités comme jamais auparavant. Par exemple, que nous mourrons tous peu à peu.
De légères gouttes tombent sur son visage.
ARTHUR
Nous mourons peu à peu. Ce n’est pas un slogan, ou une certitude, une croyance ou une hypothèse, mais la vérité, l’essence de la vérité. Jamais je n’ai compris quelque chose aussi bien. Jamais je n’ai touché la vérité ainsi. C’est une vérité crue, sans voile. C’est enivrant. Tous les muscles de mon corps se relâchent enfin face à cette vérité. Je suis transcendé par cet état de perfection.
Un temps.
ARTHUR
Maintenant que j’ai touché à cette vérité pure, je ne veux plus revenir en arrière. Je ne veux plus jamais être dans le faux. Mais comment faire pour m’en assurer ? Si je prends la peine d’analyser chaque chose avec du recul, de façon lointaine, je peux savoir ce qui est vrai et ce qui est faux.
Arthur s’agite de plus en plus.
ARTHUR
Un doute m’envahit. Cela me tord l’estomac. C’est terrifiant. Pourquoi ce doute ? Est-ce que mon cerveau se bloque, car je comprends enfin la vérité ou parce que tout cela n’est qu’un délire dû à ce que j’ai fumé ? Mais l’un empêche-t-il l’autre ? Je délire, mais est-ce que ce que je dis est faux ? Ma tête brûle. Tout mon corps semble s’activer pour rejeter ce doute. Pourquoi ?
Arthur est maintenant très suant, les yeux grand ouverts.
ARTHUR
J’ai trop de questions qui me viennent en même temps. Je tourne en rond. Une question remet en cause la réponse précédente. Je ne vois plus le vrai et le faux. Tout s’accélère. Les questions, le doute, le vrai, le faux, les causes et les conséquences. Mon cerveau tourne en rond sans s’arrêter. Est-ce vrai ? Oui. Je remets tout en question. Le doute est une constante. Le doute est la vérité.
Arthur respire de plus en plus fort.
ARTHUR
Mes entrailles se lacèrent en moi. Je dois sortir de tout ça, de toutes ces questions. Mais j’ai dit que le doute était la vérité. Si j’arrête, je serai dans le faux. Ma tête tourne. Ma gorge brûle et mes yeux pleurent. Je ne suis pas seul ici. Des enfants me regardent. Je leur fais peur.
Il semble se lever, et il tourne sa tête dans tous les sens.
ARTHUR
Partez ! Dégagez ! Vous avez raison d’avoir peur ! Quelque chose de dangereux arrive ! J’empeste. Je suis devenu un monstre. J’ai tout détruit. J’ai laissé partir Anne sans rien dire. Comme si elle ne représentait rien, comme si elle n’était qu’un détail de ma vie. J’étais heureux, tout était si parfait. Sans elle je ne suis plus rien, elle me sortait de ce moi, de ce que j’étais. Quand elle est partie, j’ai montré mon vrai visage. Celui d’un homme lâche et méprisable. Mes amis l’ont vu et s’en sont éloignés... Je n’ai pas cherché à les garder. Je suis resté cet être bizarre et ridicule dont ils avaient honte. Je me suis acharné sur mon travail, mais je n’étais évidemment pas à la hauteur. J’étais le maillon faible d’un ensemble, la pièce défectueuse d’un système. Je suis devenu la honte de ma famille. Ils ne savent rien de moi, ils ne comprennent pas la créature que je peux être. Une créature faite de violence et de tristesse qui brûle en quelques secondes sa propre maison. J’avais tout et j’ai tout massacré. Et maintenant, je suis seul et j’empeste. Je veux en finir. C’est la vérité. La plus grande des vérités. Une vérité absolue. Pour tout arrêter : le doute comme la vérité, les causes comme les conséquences. Je veux en finir. C’est la seule vérité. Mourir réconciliera tout : le vrai et le faux, la cause et la conséquence. Il faut que je meure pour mettre fin à tout ça. Je le sais. Je l’ai compris. C’est la seule vérité. Je n’ai plus de questionnement depuis que je le sais, je n’ai plus de doute.
Sa tête tombe sur le côté, contre le banc.
On voit Marius au téléphone.
MARIUS
Allo, ouais… c’est la merde.
L’ANGE
Qu’est-ce qui se passe ?
MARIUS
Il est en plein délire.
L’ANGE
Comment ça ?
MARIUS
Il a fumé du crack avec un clodo et il est parti en couille.
L’ANGE
Quoi ? Mais comment c’est possible ?
MARIUS
En fait, je lui ai donné un billet pour qu’il aille bouffer et..
L’ANGE
Tu as quoi ?
MARIUS
Je lui ai donné un billet.
L’ANGE
Tu te fous de ma gueule ?
MARIUS
Je suis déso…
L’ANGE
Il est comment là ?
MARIUS
Il vient de s’allonger sur son banc, mais…
L’ANGE
Tu ne le quittes pas des yeux. Tu appelles Leila et vous vous démerdez pour l’approcher et lui donner un calmant. Essayez d’être discret, mais s’il vous calcule trop c’est pas grave. Le plus important c’est de le sortir de son état. Vous le maintenez endormi le temps que j’arrive.
On revient dans le salon du Dieu.
L’ANGE
Voilà, vous savez tout.
LE DIEU
Je vous remercie. Vos explications ont été un régal.
L’ANGE
Il ne vous reste plus qu’à prendre une décision. Voulez-vous qu’on enclenche la seconde partie de la mission, afin de redonner au sujet, une vie à peu près normale ou est ce qu’on s’arrête là et vous n’entendrez plus jamais parlé de lui ?
LE DIEU
Je préfère m’entretenir avec l’Archange avant de donner ma décision. Il vous tiendra au courant.
L’ANGE
Je comprends.
Il se lève.
LE DIEU
J’ai une dernière question. Savez-vous ce que je vais décider ?
L’ANGE
Je crois oui.
LE DIEU
Et est-ce que mon choix vous fait plaisir ?
L’ANGE
Je n’ai pas ce pouvoir.
LE DIEU
Vous mentez. Comme toujours vous mentez. C’est ce qui fait de vous un Ange après tout.
L’Ange sort de la pièce.
L’Ange arrive dans l’entrée où attend l’Archange.
L’ANGE
Il veut te parler.
L’ARCHANGE
Ça s’est bien passé ?
L’ANGE
Oui.
L’ARCHANGE
Je t’appelle. Mon chauffeur t’attend.
L’Archange rentre dans le salon du Dieu pendant que l’Ange se dirige vers la sortie.
Leila et Marius sont au-dessus d’Arthur, qui dort sur le banc.
MARIUS
Le jour va bientôt se lever. Tu crois qu’il va venir bientôt ?
LEILA
Je ne sais pas, j’espère.
MARIUS
On fait quoi s’il se réveille ? On lui refout une dose ?
LEILA
C’est trop dangereux.
L’Ange arrive.
MARIUS
Ah te voilà ? Alors on passe à la deuxième partie ?
L’ANGE
Je ne sais pas encore, comment il va ?
LEILA
On lui a donné des somnifères, il devrait bientôt se réveiller.
L’ANGE
Très bien.
LEILA
Il risque d’être en descente après son trip d’hier. Fragilisé comme il l’est, les conséquences risquent d’être néfastes.
MARIUS
J’ai eu Camille. Une équipe du SAMU est prête à le récupérer, elle s’est fait passer pour une voisine inquiète.
L’ANGE
Pour l’instant, on ne fait rien, on observe et on reste dans l’ombre. Vous allez chacun à une entrée du parc.
Ils se dispersent.
L’Ange revient à son point d’observation sous la caméra de surveillance. Il sort son téléphone.
L’ANGE
Camille, prépare-toi à couper la diffusion au Dieu à mon signal.
Il remet son oreillette.
Sur le banc, Arthur se réveille. Il est perdu. Il vomit, puis se lève et sort du parc.
L’ANGE (à l’oreillette)
Marius, il vient vers toi ?
MARIUS
Non, il est passé au-dessus d’une grille un peu plus haut, je l’ai perdu, je crois.
L’ANGE
On a le signal de son portable ?
LEILA
Non, il n’a plus de batterie.
L’ANGE
Merde, il faut le retrouver.
L’Ange court là où est parti Arthur.
Il grimpe au-dessus d’une grille.
Le jour s’est un peu levé.
L’Ange court.
Il voit Arthur au loin. Il s’arrête.
MARIUS (son sortant de l’oreillette)
Quelqu’un le voit ?
L’Ange continue d’observer Arthur sans répondre à l’oreillette.
LEILA (son sortant de l’oreillette)
Rien de mon côté.
Le téléphone de l’Ange vibre. Il décroche.
L’ANGE
Allo… OK.
Il raccroche.
MARIUS (son sortant de l’oreillette)
Putain, il est passé où ?
L’Ange place le micro de son oreillette près de sa bouche.
L’ANGE
On arrête là.
MARIUS
Quoi ?
L’ANGE
Je viens d’avoir l’Archange, le Dieu ne veut pas que la mission se poursuive.
LEILA
Mais… mais…
L’ANGE
C’est horrible, je sais. Mais on ne peut rien y faire.
LEILA
Mais on peut… on ne peut pas s’arrêter là après tout ce qu’on lui a fait subir.
L’ANGE
Sachez que ce n’est en aucun cas de notre faute. On a eu une mission, on l’a faite en sachant qu’on pouvait réparer nos actions. Le Dieu ne le souhaite pas. C’est son choix, sa conscience, on doit s’y plier. Rentrez chez vous. Dormez. On s’en parle dans quelques jours.
Arthur rentre dans un immeuble HLM.
L’Ange le suit en retirant son oreillette.
Arthur marche sur le bord du toit. Les bras écartés comme s’il pouvait voler.
L’Ange arrive sur le toit par une porte.
Arthur ne semble pas le voir.
L’ANGE (au téléphone)
Camille, coupe la diffusion.
Arthur continue de faire de grands pas au bord du toit.
L’ANGE (à Arthur)
Arthur, avant de sauter, tu devrais écouter ce que j’ai à te dire.
Arthur se retourne vers l’Ange.
L’ANGE
Je sais qui tu es Arthur, je sais ce que tu as perdu, je connais ta situation. Je te propose de m’écouter, et après tu seras libre de faire ce que tu veux, je te le promets.
ARTHUR
Qui êtes-vous ?
L’ANGE
Écoute, ce qui t’arrive n’est pas de ta faute.
ARTHUR
Qu’est-ce que vous en savez ? Bien sûr que c’est de ma faute. Je n’ai pas tout perdu, j’ai tout gâché, tout détruit. Toute ma vie, je l’ai détruite. Vous ne savez rien, vous ne comprenez rien.
L’ANGE
Au contraire, je sais tout. Et crois-moi quand je te dis que je comprends ce que tu ressens.
ARTHUR
Qu’est-ce que vous savez ?
L’ANGE
Je sais par exemple que ce n’est pas ta cigarette qui a déclenché l’incendie de ton appartement
Arthur se fige.
L’ANGE
Je vais tout t’expliquer, mais pour cela il faut que tu avances d’un pas vers moi.
Arthur s’avance d’un pas. Il tremble. L’Ange enlève sa veste et la met sur les épaules d’Arthur.
On le voit ainsi habillé comme les scènes de narration.
L’ANGE
On va s’assoir là, et je vais tout te raconter.
Arthur et l’Ange s’assoient.
L’ANGE souffle. Il regarde dans le vide. Joue avec son jeton noir. Puis commence.
L’ANGE
Je ne sais pas par quoi commencer. (un temps) C’est étrange. Je n’ai jamais raconté aucune de mes missions. Pourtant celle-ci, je m’apprête à la raconter pour la seconde fois.
On voit la réaction d’Arthur qui écoute l’histoire de l’Ange sans entendre le son.
On revient sur le plan de l’Ange.
L’ANGE
Mon équipe est partie. Le Dieu n’a plus accès aux données. La mission est finie.
Après un temps, Arthur s’agite
ARTHUR
Je comprends. Je comprends. Rien n’est de ma faute. C’est ça ? Si j’ai tout perdu, c’est qu’on m’a tout volé. C’est ce que vous me dites ? C’est ça, la vérité ? Tout était faux, je ne pouvais pas m’en sortir.
Il se lève.
ARTHUR
Soit c’est faux, soit c’est vrai, n’est-ce pas ?.Mais là, je ne sais pas trop, vous voyez. Je suis un peu perdu. J’ai fumé quelque chose tout à l’heure, je ne sais pas si vous savez. Ah si, évidemment que vous savez puisque vous êtes un « ange », que vous savez tout de moi. Bref, quand j’étais en plein délire, je ne savais pas très bien reconnaître le vrai du faux, tout se mélangeait dans mon esprit. Et là, j’ai beau dire que je suis un peu redescendu depuis tout à l’heure, je ne peux pas m’empêcher de me poser des questions.
(un temps)
Comment dire ça ? Je doute. Je pense que c’est le mot (il rit nerveusement)
Car vous comprenez, soit ce que vous me dites est vrai… soit c’est faux. Et ça, ça me fait peur. Vraiment peur. Car finalement je ne pense pas que la drogue ait arrêté de faire son effet. Donc, j’ai tendance à me dire que tout est faux, que je suis un putain de fou. Que mon cerveau a complètement vrillé.
(un temps, il reprend en hurlant en larmes
)
Votre histoire est fausse, cette version de l’histoire est fausse. Dans la vraie version de l’histoire, il n’y a pas de Société des Anges. Pas de mission, pas de cérémonie. Cette version est pathétique, mais elle est vraie. C’est celle d’un jeune homme qui s’isole. Qui perd ami et famille. Qui n’est pas à la hauteur. Qui se fait virer de son travail et qui met le feu à son appartement. L’histoire d’un homme irréfléchi qui détruit sa propre vie. Un homme qui une fois à terre est trop lâche pour se relever et qui préfère alors en finir. Mais avant de mettre fin à sa grotesque existence, il délire. S’invente une histoire pour tenter de se sauver. Créer tout un monde pour se persuader que tout ceci n’existait pas. Qu’il est victime et non coupable. Son cerveau joue le jeu. Lui donne des visions. Lui montre un ange prêt à le sauver.
Arthur regarde vers le ciel, on ne voit plus l’Ange sur le plan.
ARTHUR
Vous n’existez pas. Vous êtes une création de mon cerveau. J’ai tout inventé. Il n’y a ni Ange ni Sujet. Je suis l’Ange et le Sujet. Nous sommes la même personne. Le bourreau et la victime. La Société des Anges n’existe pas.
Il se retourne et marche vers le vide.
Un plan sur le mur où était posé l’Ange, sans l’Ange.
Arthur s’apprête à sauter.
L’Ange le rattrape d’un coup par le col, le ramène loin du vide, le jette par terre, et lui donne un énorme coup de poing au visage.
Arthur, la figure ensanglantée, rit.
ARTHUR
J’ai mal ! J’ai terriblement mal, espèce de taré. Cela veut dire que vous existez ! Si vous arrivez à me faire mal, c’est que vous existez. Et si vous existez, c’est que c’est que tout ce que vous m’avez dit est vrai. Je ne suis pas fini, je vais pouvoir tout réparer, tout reprendre depuis le début.
L’Ange s’assoit à ses côtés.
L’ANGE
Ce n’est pas parce que tu sais tout que ta situation va s’arranger. Tu ne peux rien arranger. C’est comme si on t’avait poussé à t’enfermer à double tour dans une cellule et à détruire toi-même la clef. Nous avons tout fait pour que tu ne trouves pas de solution à tes propres problèmes. Crois-moi, tu auras beau chercher des moyens de t’en sortir, tu n’y arriveras pas.
ARTHUR
Comment pouvez-vous en être si sûr ?
L’ANGE
J’ai été à ta place. J’étais un jeune marié avec une vie formidable et facile. Puis j’ai été le Sujet d’une mission dirigée par Xavier Bequert et tout s’est effondré. Le Dieu qui avait financé la mission dont j’étais la victime n’a pas voulu que la Société des Anges sauve ma situation. Xavier m’a tout expliqué, comme je viens de le faire pour toi. J’ai essayé de reparler à mon ex-femme, de revoir mes amis. Mais tout ce que je tentais empirait la situation. J’ai vite compris que ma vie était dans une impasse… tout comme la tienne.
ARTHUR (paniqué)
Mais vous, vous pouvez me sauver. C’est ce que vous allez faire… pas vrai.
L’ANGE se relève. Il s’essuie le pantalon, sort son téléphone et le consulte.
L’ANGE
Je n’ai pas le droit. Le Dieu a décidé que je ne pouvais pas le faire. Pourtant, en un peu moins d’un an, avec mon équipe travaillant sur le coup, ta vie serait redevenue à peu près la même. Mais je ne peux pas. Si je le fais, de graves ennuis pourraient m’arriver. Je n’ai pas le choix.
ARTHUR
Alors qu’est-ce que je peux faire ?
L’ANGE
La seule chose que je peux te proposer, c’est ce que la Société des Anges propose à tous les Sujets qui n’ont pas été sauvés par les Dieux : un travail. Un travail qui ne ressemble à aucun autre. Un travail immoral. Mais tous les métiers ont une part d’immoralité.
Derrière, l’Ange, la porte d’accès au toit s’ouvre et des agents de l’Archange en costume arrivent.
L’ANGE
Je te propose d’être un Ange.
Les agents s’approchent d’Arthur qui est toujours au sol, il commence à reculer.
L’ANGE
Arthur, tu n’as pas le choix.
Arthur se soumet, il se relève et suit les agents.
Ils sortent par la porte.
L’Ange reste à regarder l’horizon. Il sort son jeton noir.
L’Archange arrive dans le dos de l’Ange.
L’ARCHANGE
Il ne te reste plus qu’à le former et tu auras fini, tu seras libre de quitter la Société des anges.
L’Ange ne dit rien.
L’ARCHANGE
Je ne sais pas ce que tu as dit au Dieu, mais tu as raison, ça s’est bien passé. Tu auras fini sur une très belle mission.
Il quitte le toit par la porte.
L’Ange manipule son jeton noir, puis le jette dans le vide en souriant.